L’Égypte s’apprêtait lundi à appliquer l’état d’urgence pour la première fois depuis les violences de 2013, après des attentats contre deux églises coptes qui ont fait 44 morts et renforcé l’inquiétude des chrétiens.
Le président Abdel Fattah Al-Sissi, qui dirige l’Égypte d’une main de fer depuis 2013, doit obtenir l’approbation du Parlement dans un délai de sept jours sur l’état d’urgence. Une formalité puisque la majorité des députés est acquise au président.
L’état d’urgence, qui doit être appliqué pour trois mois, élargit considérablement les pouvoirs policiers en matière d’arrestation, de surveillance, et peut imposer des restrictions à la liberté de mouvement. Pour le député Yehia Kedouani, membre de la commission de Défense et de sécurité nationale, «la majorité du Parlement devrait approuver l’état d’urgence» car «la situation l’exige pour rétablir une sécurité totale».
L’état d’urgence avait été observé pendant trois décennies sous le raïs Hosni Moubarak, et son abrogation était l’une des demandes principales des militants ayant conduit la révolte de 2011 qui a mis fin à son règne. Supprimé en 2012, il avait été rétabli pendant un mois après la destitution du président islamiste Mohamed Morsi l’année suivante, au moment où les forces de sécurité réprimaient dans le sang ses partisans. Il est en outre appliqué depuis plusieurs années dans une partie du nord de la péninsule du Sinaï, où le groupe jihadiste Etat islamique (EI) est très actif.
« Protection totale »
L’annonce du président Sissi est intervenue dimanche soir quelques heures après un double attentat de l’EI contre deux églises coptes, à Alexandrie et à Tanta au nord du Caire, en pleine célébration de la fête des Rameaux.
Avec un bilan de 44 morts, ce sont les attentats les plus sanglants commis ces dernières années contre les Coptes qui représentent 10% des 92 millions d’Égyptiens. Après avoir ordonné à l’armée de déployer l’armée pour protéger les «infrastructures vitales» du pays, le chef de l’Etat a réclamé des mesures «pour assurer une protection totale des frontières». «L’état d’urgence a été imposé en France, en Égypte pendant longtemps avant cela, pour faire face au terrorisme», a justifié le député Yehia Kedouani.
Selon lui, la mesure permettra notamment aux forces de sécurité de maintenir en détention pendant 45 jours «les éléments terroristes actifs qui sont connus des services, mais pour qui il n’y a pas de preuves matérielles permettant de les traduire en justice». L’EI, dont la branche égyptienne avait récemment menacé de multiplier les attaques contre les Coptes, a indiqué que les deux assauts avaient été menés par des kamikazes égyptiens.
« Tellement triste »
Lundi matin à Alexandrie, devant l’église Saint-Marc où la veille un kamikaze «équipé d’une ceinture explosive» a provoqué la mort de 17 morts, les enquêteurs prenaient des photos des boutiques endommagées. Quelques femmes, toutes de noir vêtues et venues pour assister à la messe, montraient leur carte d’identité aux forces de l’ordre pour pouvoir entrer. «Je suis tellement triste, je suis incapable de parler», confie une femme d’une quarantaine d’année.
L’autre attaque a eu lieu à Tanta, dans le delta du Nil à une centaine de km du Caire, dans l’église Mar Girgis (Saint-George). Elle a fait 27 morts et 78 blessés. Les Coptes orthodoxes d’Egypte sont les chrétiens les plus nombreux au Moyen-Orient et la communauté la plus ancienne. Ils se disent victimes de discriminations de la part des autorités et de la majorité musulmane. Les attaques de dimanche interviennent quatre mois après un attentat suicide revendiqué par l’EI contre une église du Caire qui avait fait 29 morts.
Elles renforcent aussi les inquiétudes sur la sécurité pour la visite du pape catholique François, attendu en Egypte les 28 et 29 avril. Pour Mustapha Kamel al-Sayyid, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, l’adoption de l’état d’urgence relance les inquiétudes au moment où toutes les voix d’opposition sont réprimées. «Sous M. Sissi, on voit que les arrestations et les jugements concernent également des gens qui n’ont aucun lien avec des actes terroristes», met en garde l’expert, en référence aux militants de l’opposition.
Le Quotidien/AFP