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[Exposition] Briseur d’images au MNHA


Marco Godinho et ses portraits sans visage qui questionnent l'immigration et la vie entre le Luxembourg et le Portugal. (Photo : DR/Marco Godinho)

Visages floutés, vraies fausses caméras de surveillance, portraits-robots… Dans le cadre du Mois européen de la photographie (EMOP), le MNHA s’amuse avec l’image et son évolution depuis les attentats de 2001.

Fidèle collaborateur de l’EMOP depuis 2006, le musée invite à cette occasion sept artistes aux élans politiques mordants, qui s’emparent d’une question sociétale essentielle : de quelle manière un individu est-il aujourd’hui «représenté» alors que les caméras de surveillance et autres appareils informatiques de détection font partie du quotidien?

C’est devenu une habitude : le Luxembourg, en avril et en mai, participe à l’EMOP, à l’instar de sept autres capitales européennes (Athènes, Berlin, Bratislava, Budapest, Ljubljana, Paris, Vienne), et ce, dans de grandes largeurs – cette année, 23 expositions seront ainsi proposées au pays. Tradition encore, le MNHA, depuis 2006, suit la tendance photographique et se permet de belles échappées dans l’art contemporain, à l’instar de ce nouvel assemblage intitulé «Portraits sous surveillance».

L’idée, ici, est assez simple, même si elle questionne, avec sagacité, l’évolution de la photographie et, par extension, l’utilisation de l’image depuis les attentats du World Trade Center en 2001 et, plus généralement, le climat généralisé, anxiogène et sécuritaire, depuis lors. Qu’est-ce qu’un portrait aujourd’hui, entre le bienheureux selfie et celui réalisé par des machines de l’ombre (drones, caméras de surveillance…)? Comment l’image est-elle manipulée par les médias et les politiques? Et que reste-t-il de l’individu au milieu de tout ça?

Sept artistes, dont Marco Godinho (voir ci-contre), se sont pris au jeu, développant des œuvres aux effets miroirs sensibles et militantes, soulignant le chaos d’un monde où des «milliards de photos sont réalisées à chaque instant», selon le duo Paul di Felice et Pierre Stiwer, instigateurs de l’EMOP au Grand-Duché. Premier d’entre eux, et pas le moins virulent, Daniel Mayrit ne décolère pas après les émeutes londoniennes de 2011, où la police a arrêté de nombreux agitateurs en s’appuyant sur des images de caméras de surveillance.

Sur la même base, l’artiste espagnol retourne métaphoriquement le procédé vers les véritables responsables de la situation économique actuelle : les 100 personnes les plus influentes de la City. Avec «You Haven’t Seen Their Faces», il place les projecteurs sur les intouchables du pouvoir, et renverse la pyramide. Et maintenant, c’est qui le criminel? Dans une approche identique, Paolo Ciro, avec sa série «Obscurity», met sur le gril le contrôle et l’accès aux informations, la surveillance de masse et le profilage, ainsi que le droit à la vie privée. Et tandis qu’il efface les visages d’individus arrêtés aux États-Unis, visibles librement sur le net, il dévoile ceux des autorités du service d’intelligence américain (NSA, CIA, FBI) ayant trait à l’affaire Snowden.

Au cœur du bal de l’Opéra de Vienne

Pour sa part, le duo Notsani-Mareschal, avec Mues, a invité des adolescents à créer une image d’eux-mêmes via un logiciel employé par la police pour établir des portraits-robots et à raconter leur histoire, prenant le contrepied de l’usage habituel d’un tel procédé. L’artiste Aida Silvestri, inspirée par l’histoire d’une amie, aborde les parcours de réfugiés érythréens au Royaume-Uni. Avec elle, ces hommes et femmes en quête d’un Eldorado restent anonymes et, sur leurs visages absents, une ligne cousue évoque leur périple.

Enfin, alors que Jure Kastelic (Death Reporters) évoque la façon dont les médias véhiculent l’information – il capture alors systématiquement l’expression du visage des présentateurs au moment où ils annoncent des catastrophes et le nombre de victimes –, le Suisse Jules Spinatsch, lui, plonge dans un univers de strass et de paillettes. En 2009, à l’occasion du bal de l’Opéra de Vienne, il suspend deux appareils numériques au centre de la salle, programmés pour photographier tout l’espace. Durant toute la soirée, il produit un total de 10 008 images – une centaine sont exposées au MNHA – qui révèlent qu’un grand nombre de participants s’ennuient, sont distraits, nerveux, anxieux. Souriez, vous êtes photographiés!… Loin des canons classiques de la beauté ou de l’expressivité propre à chaque individu, «Portraits sous surveillance» s’amuse de l’image et en fait un outil utile pour mettre en garde contre les manipulations de toute sorte.

Grégory Cimatti

Musée national d’Histoire et d’Art – Luxembourg.

Jusqu’au 17 septembre.