L’économie britannique a déjoué les prévisions alarmistes et affiche une santé insolente neuf mois après le choc du référendum, mais l’ouverture des négociations du Brexit marque l’entrée dans le vif du sujet et peut-être des premiers ennuis.
La plupart des économistes le disaient avant le choix historique du 23 juin 2016 : si les Britanniques choisissent de quitter le navire européen, des vents contraires vont souffler immédiatement et une tempête financière n’est pas à exclure. Mais une transition gouvernementale expéditive avec l’arrivée aux commandes de la rassurante Theresa May, une Banque d’Angleterre prompte à injecter des liquidités et une confiance inébranlable des consommateurs ont permis à l’économie du pays de bien traverser les premiers mois postérieurs au vote.
La croissance du produit intérieur brut est restée solide à 1,8% en 2016 et pourrait atteindre 2,0% cette année, d’après la dernière prévision officielle. Le seul hic est qu’il ne s’est rien passé de concret sur le front du Brexit depuis neuf mois. Concernant l’économie, les négociations ouvertes pour deux ans ne représentent que les ultimes préparatifs de l’aventureux voyage britannique au-delà des rives du continent. «J’ai l’impression que nous venons tout juste d’arriver au sommet de la montagne russe de l’article 50», a prévenu Paul Drechsler, le président de la principale confédération patronale britannique, le CBI, qui s’attend désormais à subir «les secousses et retournements des négociations».
Londres doit déclencher officiellement mercredi l’article 50 qui permettra de lancer les négociations. Le patron des patrons martèle que le pire serait de voir Londres et Bruxelles acter leur divorce sans s’accorder sur un nouvel accord commercial qui atténuerait un peu le choc du départ britannique du marché unique. La Première ministre Theresa May s’est dite prête à un Brexit sans accord si les conditions offertes par Bruxelles étaient trop abruptes. Mais Nina Skero, économiste au Centre for Economics and Business Research, explique à l’AFP qu’il pourrait s’agir d’une posture visant à raffermir sa position avant les discussions.
«Le plus probable reste qu’un accord sera trouvé dans les deux ans, mais en l’absence d’entente l’incertitude se prolongerait, ce qui freinerait l’activité économique», prévient-elle, d’autant que le Royaume-Uni réalise la moitié de ses échanges commerciaux avec le reste de l’UE. Deux secteurs stratégiques sont particulièrement effrayés par la perspective d’un échec des négociations: les puissants services financiers et l’industrie automobile en pleine renaissance. En cas de retour aux règles de base de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’appliqueraient à défaut d’accord, les exportations de voitures made in Britain seraient ainsi taxées à 10% aux frontières du continent.
Prudence avant turbulences
Dans ce contexte, toute décision des constructeurs quant à leur activité au Royaume-Uni rend déjà nerveuses les autorités, que ce soit un investissement de Nissan à Sunderland dans le nord-est de l’Angleterre, une réduction de voilure de Ford au Pays de Galles ou le rachat par PSA des usines Vauxhall (Opel ailleurs en Europe). Tous secteurs confondus, les employeurs britanniques s’époumonent à demander le maintien d’un flux migratoire suffisant en provenance de l’UE, afin de garantir le renouvellement d’une main d’œuvre dont l’activité du pays a largement profité ces dernières années.
Commerces, hôtellerie-restauration, BTP, plusieurs secteurs pourraient vite souffrir des arrivées plus éparses du continent observées depuis le référendum, constate le Chartered Institute of Personnel and Development dans une étude. Des entreprises pourraient de surcroît rechigner à investir tant que les négociations sur le Brexit n’auront pas été bouclées, un climat de flou renforcé par la volonté du gouvernement régional écossais d’organiser un nouveau référendum d’indépendance.
«Les emprunts contractés par les entreprises comme par les ménages ont quelque peu diminué depuis le début de l’année, c’est un premier signe du ralentissement progressif de l’activité attendu pour 2017», note Boris Glass, économiste à l’agence de notation S&P Global. Les consommateurs commencent eux aussi en effet à sentir l’impact de la nette hausse des prix entraînée par le renchérissement des produits importés – conséquence de la dépréciation de la livre sterling provoquée par le vote pour le Brexit.
Preuve d’une certaine prudence à la dépense, le ministre des Finances Philip Hammond a lui-même présenté au début mars un budget tout en sobriété, afin de garder quelques sous pour agir lors des turbulences qui s’annoncent.
Le Quotidien/AFP