Il était venu le mois dernier à la Kulturfabrik pour présenter la pièce 7 janvier(s), coécrite avec Gérald Dumont. L’écrivain Caryl Férey est en Colombie pour son prochain polar.
L’auteur français de romans noirs Caryl Férey mitonne le dernier opus de sa trilogie sud-américaine, laissant « la problématique des dictatures » de Mapuche en Argentine et Condor au Chili pour le « drame schizophrénique » de la Colombie et du plus ancien conflit du continent. Des années de documentation, un premier saut dans le pays, des mois d’écriture, puis un second séjour pour polir les personnages : Caryl Férey aime prendre le temps de construire ses histoires politico-policières à partir de faits réels.
« Cela fait 20 ans que je lis sur la Colombie. Mais rien ne vaut les voyages in situ », a-t-il expliqué, en déambulant dans les ruelles de La Candelaria, quartier colonial de Bogota. Pendant trois semaines, cet auteur traduit dans une quinzaine de langues a « tâté le terrain », le cœur coloré de Bogota, glauque la nuit, comme le nord moderne et exclusif. Il a également parcouru la côte caraïbe. « Le premier voyage, c’est la découverte. J’y vais à la ‘va comme je te pousse’.»
Mais la trame est déjà en place. « Il y a un mec à Carthagène, un autre à Bogota et des bouts de cadavres qui apparaissent un peu partout dans le pays. C’est l’histoire d’une guerre fratricide, comme celle de la Colombie; une guerre entre deux frères, un ex-guérillero des FARC (NDLR : Forces armées révolutionnaires de Colombie) qui s’est rangé et un ancien paramilitaire devenu superflic. » Son prochain voyage, plus long, en octobre et novembre, se fera accompagné de vieux copains avec lesquels il ira s’aventurer aussi jusque dans les bas-fonds de Medellin et de Cali, deux villes marquées par la guerre et les cartels de la drogue des années 80-90.
«Ce n’est pas pour faire peur à la mémère !»
Ce roman-là ne sera pas comme les deux précédents, « très ancrés dans une ville » car, en Colombie, « ce n’est pas dans la capitale que le pire s’est produit », dit encore Caryl Férey. Né en juin 1967, il est plus jeune que ce conflit durant lequel se sont affrontés guérillas d’extrême gauche, paramilitaires d’extrême droite et forces armées. Bilan : plus de 260 000 morts, 60 000 disparus et 6,9 millions de déplacés.
En lisant sur l’ancien «capo» de la cocaïne Pablo Escobar, l’ex-président colombien Alvaro Uribe et la rébellion des FARC, il a réalisé que « toute l’histoire du pays n’est quasiment que violence, avec une population par ailleurs adorable ». « C’est un pays un peu schizophrène. Donc ça m’intéresse. J’aime bien les extrêmes ! », explique-t-il.
« Après le premier voyage, l’histoire se monte, purement policière et politique.» Durant le second, il rencontre « plein de gens » dont il s’inspire. Car si ses livres ont une part de fiction, il entend les « ancrer sur des choses, des témoignages réels ». S’il dépeint « des gens qui sont découpés à la tronçonneuse, c’est parce que c’était une technique des paramilitaires. Ce n’est pas pour faire peur à la mémère ! »
Selon cette méthode, l’écrivain voyageur, qui à 20 ans faisait déjà le tour du monde, a écrit Haka et Utu basés en Nouvelle-Zélande, avant le polar sud-africain Zulu adapté au cinéma. Pour Mapuche, il a écumé Buenos Aires, puis Santiago pour Condor, publié en 2016, mais veut « sortir de la problématique des dictatures, terminer la trilogie sud-américaine avec un autre prisme ».
« La violence coule dans les veines » de ce pays, estime-t-il, heureux de la paix signée avec les FARC afin de tourner la page d’un « statu quo qui arrange pas mal de gens de pouvoir, grands propriétaires terriens, armée, paramilitaires, narcotrafiquants ». Pour lui qui a longtemps vécu de petits boulots et « eu faim » plutôt que de renoncer à écrire, il n’y a pas de crime qui ne soit lié à l’histoire, à la politique, surtout en Colombie qui « souffre de ça depuis toujours ».
Il va ainsi « remonter jusqu’à l’époque des affrontements sanguinaires entre conservateurs et libéraux » de la première moitié du XX e siècle, avant l’apparition des guérillas des années 1960. Une fois ce livre terminé, à l’issue d’un an et demi d’écriture, Caryl Férey prendra un nouveau cap : Madagascar et les massacres de la domination française « dont on ne parle plus », le Canada où « il y a plein de trucs sous le tapis » quant au génocide indien, ou encore « Chicago et ses clubs de jazz, car la musique me rend dingue ! ». Autant de voyages en perspective…