Dans notre pays, seule une dizaine de malvoyants ont un chien à leurs côtés. L’ASBL Chiens guides d’aveugles au Luxembourg propose pourtant d’aiguiller les prétendants.
Ce sont les toutous les plus adorables du monde, les plus fidèles aussi. Derrière leur gueule d’ange (des labradors blancs ou chocolat, des bergers couleur de feu…) se cachent de véritables bêtes d’élite. Les chiens d’aveugles luxembourgeois bénéficient de l’une des meilleures formations européennes, à savoir celle de nos voisins français. «La demande est trop faible chez nous pour lancer une filière, précise Roland Welter, le président de l’association Chiens guides d’aveugles au Luxembourg. Après comparaison des systèmes allemand, belge et français, il n’y a pas eu photo : les Français sont les seuls à posséder une école d’éducateur, ainsi qu’un élevage dédié.» Encore faut-il que quelqu’un fasse le lien entre la France et le Grand-Duché. C’est là tout le rôle de l’ASBL, née en 2001, à la suite des péripéties rencontrées par Roland Welter lui-même.
«Je perdais progressivement l’usage de ma vue (NDLR : il ne voit plus que dans un angle de cinq degrés). Aujourd’hui, nous travaillons avec le centre de Woippy. Mais à l’époque, j’avais dû aller jusqu’à Limoges !» Il a fallu organiser une juste répartition des coûts avec la France aussi. «La Fédération française remet les animaux gratuitement, explique Roland. Ils partent du principe que c’est du service public, alors que la formation d’un chien coûte 35 000 euros. Si tous les Luxembourgeois s’étaient mis à faire comme moi, ça n’aurait pas été moral…»
L’ASBL, qui tient sa 16e assemblée générale ce jeudi, a permis des avancées considérables : l’assurance dépendance cofinance désormais la formation des chiens avec la France. Et depuis 2008, le Luxembourg s’est doté d’une législation performante en matière de non-discrimination des aveugles avec chien. «C’est l’amende de 250 euros directement en cas de refus d’accès au lieu de vie public. C’est contraignant, donc ça marche.» Les problèmes viennent en amont, dans le domaine de la construction : trop d’infrastructures publiques, sous prétexte de respecter les normes d’accès aux handicapés, ont été faites n’importe comment. «Des passages pour piétons où les lignes de guidage pour cannes sont faussées. Ou encore, des passages trop étroits sur les trottoirs… Et après, les gens disent : Les aveugles ne les utilisent jamais !»
Accepter de montrer son handicap
Un chiffre interroge tout de même : seule une dizaine de malvoyants bénéficient d’un chien au Grand-Duché. «Les parcours sont mal connus, glisse Roland. Nous jouons donc le rôle de facilitateur.» Car on n’obtient pas un chien d’aveugle en claquant des doigts. «Il faut d’abord prouver que l’on est autonome avec une canne, explique Roland. Le chien n’est que l’étape d’après. Les centres de formation ne donnent pas de chien à quelqu’un qui ne sait pas se repérer dans la rue.» La canne est un apprentissage laborieux, qui demande un travail de mémoire conséquent. «Surtout, c’est l’étape où l’on affiche son handicap. Même de nos jours, la pression sociale reste énorme : chacun veut montrer sa force. Nous, les aveugles, d’entrée de jeu avec la canne, nous montrons notre point faible.»
Une fois cette autonomie apprise (un réseau de formateurs existe au Luxembourg), le candidat peut déposer un dossier pour avoir un chien. Il faut compter au moins un an. «C’est la grande liberté après !», sourit Roland. Fini de tâtonner dans la rue, de faire toujours le tour du même quartier. «Une complicité énorme se crée avec le chien… il sécurise tous les déplacements. On peut bouger, c’est l’aventure !» On touche là au cœur du handicap : le risque de rester chez soi, de se renfermer dans ses difficultés et de s’exclure définitivement de la société.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la mission de l’ASBL est donc d’abord de convaincre les malvoyants d’oser prendre une canne. Sans cette compétence, aucune chance d’avoir un chien d’aveugle un jour. Et donc de retrouver une liberté tant espérée.
Hubert Gamelon