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Brésil : quand un lac artificiel devient un cimetière de tortues


La carcasse d'une tortue "phrynops geoffroanus" jonche le sol du Lac du Cèdre, asséché, le 8 février 2017 à Quixada, dans le nord-est du Brésil. (Photo : AFP)

L’eau a laissé place à la terre aride, jonchée de vestiges de barques et de centaines de cadavres de tortues. La situation du lac artificiel le plus ancien du Brésil résume à elle seule la pire sécheresse du nord-est du pays depuis un siècle.

Le «Paraiso Bar», littéralement «Bar du Paradis», offrait une vue imprenable sur le Lac du Cèdre, aujourd’hui totalement évaporé. L’établissement est toujours ouvert, mais il n’attire pratiquement plus de client, alors qu’il y neuf mois à peine, ce site était une des principales attractions touristiques de cette région de l’État du Ceara. Le lac auparavant occupé par plus de 126 millions de mètre cubes d’eau (plus de 50 000 piscines olympiques) est parcouru à pieds secs par six étudiants en biologie munis de carnets et d’instruments de mesure.

Le réchauffement de la planète allié au phénomène El Niño a eu des effet dévastateurs sur le Sertao, région semi-aride qui englobe huit États brésiliens. Les réservoirs sont remplis en moyenne à 6% de leur capacité, mais le lac artificiel du Cèdre, construit entre 1890 et 1906 à la demande de l’Empereur Pedro II, est désespérément sec. Le sol est si dur et morcelé qu’il fait mal aux pieds. Il ne reste que des coquilles d’escargots morts, des restes d’arêtes de poissons et des dizaines de carapaces de tortues, principal objet de recherche du groupe d’étudiants.

«Ici, il y avait une grande biodiversité, avec énormément de poissons, de batraciens, de mollusques, sans compter les oiseaux qui s’alimentent des poissons. Aujourd’hui, ça n’existe plus», déplore Wagnar Docarm, après avoir mesuré la taille d’une carapace.

Sans poissons ni touristes

Depuis le début du projet de recherche, en novembre, ce groupe de l’Université de Quixada a identifié 438 cadavres de tortues de «phrynops geoffroanus», censées être plus résistantes que les autres «Ces tortues sont mortes parce qu’il n’y avait plus d’eau. Normalement, elles migrent, mais elle n’ont pu parcourir tout le chemin à temps», explique Hugo Fernandes, docteur en zoologie. Selon lui, le climat «particulièrement hostile» a été aggravé par «l’action humaine», avec des conséquences irréparables pour la biodiversité.

Dans ce paysage de désolation, les villages de pêcheurs installés autour du lac asséché ont perdu tout moyen de subsistance. Tout le monde ici vivait de la pêche. Il y avait beaucoup de poissons, des écrevisses. Mais tout est terminé et le peu que nous touchons du gouvernement nous permet à peine de survivre», se plaint Francisco Elso Pinheiro, pêcheur de 75 ans qui contemple les effets de la sécheresse de son hamac.

Francisco pêchait environ 30 kilos de poissons par jour et arrivait à doubler le montant de sa modeste retraite, de moins de 300 dollars. Il pouvait aussi nourrir sa famille en faisait pousser des haricots, du maïs ou des pommes de terres sur les rives du Lac du Cèdre. Sa barque est à présent abandonnée au beau milieu du lac et il a dû creuser un puits pour essayer d’obtenir un peu plus d’eau que celle obtenue via les modestes approvisionnements des camions-citernes.

«En plus de la pêche, nous vivions du tourisme et maintenant nous ne recevons presque plus personne. Si le lac se remplissait à nouveau, tout irait mieux pour nous», rappelle Gilberto Queiroz, employé du Bar Paradis. Sur le mur de l’établissement, les clients peuvent lire ce verset d’un psaume: «le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer».

Le Quotidien/AFP