Avec Chez nous, son douzième film, Lucas Belvaux montre avec sobriété et intelligence une petite ville du nord de la France où un parti d’extrême droite monte, monte…
Une dirigeante d’extrême droite blonde, une petite ville du Pas-de-Calais… Chez nous raconte la campagne pour les municipales d’un parti inspiré du Front national. Un film qui, forcément, dérange le parti de Marine Le Pen.
Six semaines avant la sortie de Chez nous , le réalisateur belge Lucas Belvaux a dû faire une mise au point. « Mon film n’a pas pour but de provoquer, mais plutôt de créer de la discussion en se centrant sur la manière dont les gens s’engagent en politique. » Des mots tenus en réaction à une polémique lancée par des responsables du Front national, le parti d’extrême droite français – un de ses membres, Steeve Briois, le maire de Hénin-Beaumont (Nord), y était allé de son commentaire : «Pauvre Marine Le Pen, qui est caricaturée par ce pot à tabac de Catherine Jacob. Un sacré navet en perspective!»
Précision : les membres du FN ont lancé la polémique à la seule vue de la bande-annonce du film… De son côté, 55 ans et douze films sur son CV, le cinéaste belge a rappelé qu’« il y a toujours, dans tous les partis politiques, une forme de marketing, de publicité, de propagande… C’est même l’objet d’une campagne électorale. » On ajoutera que cette polémique surgit alors que Marine Le Pen, «patronne» du FN, arrive en tête de tous les sondages pour le premier tour de l’élection présidentielle française, le 23 avril prochain.
Ni caricature ni didactisme
« On tenait absolument que Chez nous sorte en salle avant le début de la campagne électorale », précise Belvaux qui, achevant son précédent long métrage, Pas son genre (2014), et en pleine période d’élections municipales, se demandait pour qui son héroïne coiffeuse dans une ville du nord de la France pourrait voter. Il voulait mettre en images cette interrogation, ne trouvait ni idée ni solution jusqu’à ce qu’il tombe sur Le Bloc , thriller de Jérôme Leroy évoquant une thématique similaire. Les deux se rencontrent, décident d’écrire ensemble : ce sera Chez nous , un film sur un pays touché par la dérive extrême.
Cette fois, toujours dans le nord de la France – dans une ville imaginaire nommée Hénard (qui rappelle Hénin-Beaumont, le fief électoral du FN), on n’a plus une coiffeuse, mais une infirmière à domicile. Pauline travaille entre Lens et Lille, elle s’occupe seule de ses deux enfants et de son père, ancien métallurgiste et longtemps membre du Parti communiste. La jeune femme est dévouée et généreuse, et ses patients l’apprécient tout autant qu’ils comptent sur elle. Ayant repéré la popularité de l’infirmière, les dirigeants (dont un médecin, «docteur de famille» de Pauline) d’un parti extrémiste l’approchent, la flattent elle qui a plutôt une sensibilité de gauche, lui proposent d’être leur candidate aux prochaines élections municipales.
Surtout par ignorance et candeur, Pauline l’infirmière va accepter de figurer sur la liste d’Agnès Dorgelle, responsable du Rassemblement national populaire – tout aussi blonde et héritière d’un ancien chef au discours brutal que l’est Marine Le Pen… S’en suivra une terrible confrontation entre l’infirmière et son père qui se sent trahi, qui se demande ce qu’il lui a appris, qui la condamne irrémédiablement… Et puis, dans cette aventure, Pauline retrouve un ancien amoureux, membre du Rassemblement, adepte de la violence et n’hésitant pas à tabasser les immigrés…
Dans ce douzième film, Lucas Belvaux a su éviter tous les pièges de l’exercice : à aucun moment, Chez nous ne relève de la caricature ou encore du didactisme. Porté par une mise en scène sobre et des comédiens de beau niveau (Émilie Dequenne, Catherine Jacob, André Dussolier ou encore Guillaume Gouix), le film ne fait pas seulement polémique. Surtout, Chez nous alimente, avec intelligence, le débat. Et ça, c’est bon et bien pour la démocratie!
Serge Bressan
Chez nous, de Lucas Belvaux (France/Belgique, 1h58) avec Émilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix…