Appartenance à une organisation terroriste, utilisation de données et propagande terroriste : tels sont les chefs d’accusation auxquels fait face le journaliste germano-turc Deniz Yücel, détenu à Istanbul depuis mardi dernier. Sur le radar des autorités depuis son entretien avec Cemil Bayik, un des leaders du Parti des travailleurs du Kurdistan, qui accuse le président turc, Recep Tayyip Erdogan, de collusion avec l’État islamique (EI), Denis Yücel semble avoir fait déborder le vase en écrivant sur la boîte mail piratée de Berat Albayrak, ministre de l’Énergie et gendre d’Erdogan, dont les contacts prouvent l’existence de liens troubles avec l’EI.
Âgé de 43 ans, le correspondant du quotidien allemand Die Welt n’est pourtant pas le premier journaliste étranger emprisonné en Turquie, en violation totale avec la Constitution qui garantit la liberté de la presse, ni, hélas!, le seul membre de la presse (on estime à plus de 140 le nombre total de journalistes emprisonnés).
Mais l’arrestation de Deniz Yücel, né en Allemagne et possédant la double nationalité, constitue, outre le fait d’exposer la fragilité de la chancelière Angela Merkel dans le contexte de l’accord UE-Turquie sur les réfugiés, une nouvelle tentative d’intimidation de la communauté turque d’Allemagne, la plus grande de la diaspora turque. Et ce à quelques mois du référendum du 16 avril portant sur un changement constitutionnel visant à attribuer plus de pouvoirs à la présidence. Samedi, d’ailleurs, un jour après la confirmation de l’arrestation de Deniz Yücel, le Premier ministre turc, Binali Yildirim, était en campagne à Oberhausen, en Allemagne, pour un rassemblement en faveur du oui.
Mais la pression exercée sur les expatriés ne s’arrête pas à l’Allemagne. Au Luxembourg, Turkuaz, le Centre culturel turc, réputé proche du mouvement Gülen (accusé par Ankara d’être à l’origine du putsch raté de juillet dernier), a également fait l’objet d’intimidations ( Tageblatt , 22 juillet 2016). Au-delà de cette nouvelle preuve de la dérive autoritaire en Turquie, il convient donc de voir dans cette arrestation une tentative d’exporter, à travers la peur, les divisions qui caractérisent la Turquie de 2017.
Frédéric Braun
Ni l’Allemagne, ni le Luxembourg, ni aucun autre pays ne doit accepter que la Turquie amène sur leur territoire des débats internes à la Turquie. Ni les pro-régimes, ni leurs opposants ne devraient être autorisés à s’exprimer ou manifester sur ces thèmes ici. Et si certains sont motivés pour s’exprimer ou se battre sur ces sujets, qu’ils aillent le faire là-bas ! Ils seront – bien ou mal – reçus, selon les cas.
Autrement où allons-nous ?