Doris Woltz, la nouvelle directrice du Service de renseignement de l’État (SRE), est contestée par une partie de ses troupes qui lui reprochent une application trop stricte de la loi régissant désormais le service.
Le SRE a-t-il renoué avec les mauvaises habitudes du SREL en espionnant le procès LuxLeaks? L’hypothèse d’une manipulation n’est pas exclue alors que la rigueur de la nouvelle directrice entrée en fonction le 1er janvier ne fait pas l’unanimité au sein du service.
Les 2 et 24 janvier, l’ancien député déi Lénk Justin Turpel publiait des billets sur son blog faisant état d’une surveillance du procès LuxLeaks par le Service de renseignement de l’État (SRE). L’affaire a tout de suite provoqué des remous autour de ce département sensible. La première suspicion d’une surveillance du procès LuxLeaks remonte au 25 avril 2016 quand un agent présumé du SRE avait assisté à Luxembourg à une soirée de soutien aux lanceurs d’alerte à l’origine des révélations de ce scandale fiscal.
Lorsque le 2 janvier dernier, Justin Turpel publie un premier billet sur la surveillance du procès en première instance, les services du chef du gouvernement, suivis le lendemain par la directrice du SRE, Doris Woltz, opposent un démenti. En toute logique, car la nouvelle loi entrée en vigueur le 1 er octobre 2016 interdit formellement aux agents du SRE «toute surveillance politique interne».
Zones d’ombre et «électron libre»
Selon nos informations, c’est désormais la commission de Contrôle parlementaire du SRE qui veut en apprendre davantage de Justin Turpel, qui a été en première ligne dans le soutien apporté aux lanceurs d’alerte de l’affaire LuxLeaks et dans la dénonciation de l’évasion fiscale. Il a été très officiellement invité à venir s’exprimer demain devant cette commission présidée par Claude Wiseler (CSV) afin qu’il partage sa connaissance des faits et ses éventuelles sources d’information.
Il faut dire que depuis six mois les parlementaires membres de cette commission n’ont pas eu grand-chose à se mettre sous la dent quant à d’éventuelles sorties de route d’espions luxembourgeois. Du moins officiellement, car en cas de manquement d’un agent du service, aussi bien le Premier ministre que la directrice du SRE sont tenus d’en informer la commission qui peut, si elle le juge opportun, à son tour porter les faits à la connaissance de l’ensemble des députés. À croire que quelques mois à peine après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les quelque 70 fonctionnaires du SRE ont rompu comme un seul homme avec les pratiques du passé.
Quoi qu’il en soit, l’affaire de la surveillance du procès LuxLeaks est commentée dans les milieux du renseignement luxembourgeois où l’on ne tient pas en odeur de sainteté l’agent incriminé. Un homme dont le parcours serait semé de zones d’ombre et qui est qualifié «d’électron libre», car aucun de ses collègues ne connaîtrait l’objet de ses missions, ni à qui il en réfère. La loi exige pourtant l’autorisation de la directrice pour toute recherche effectuée par un agent.
Les informations sur les activités de cet espion tiennent-elles dès lors de l’info ou de l’intox pour discréditer la hiérarchie du service? En tout cas, les même sources se montrent critiques à l’encontre de leur directrice, Doris Woltz, entrée en fonction le 1 er janvier. Ils reprochent à l’ancienne magistrate nommée par le ministre de tutelle, Xavier Bettel, de s’en tenir trop étroitement à l’esprit de la loi encadrant désormais de façon stricte les missions du service.
Marco Mille bientôt devant le juge
Les dérives collectives et individuelles au sein du SREL, l’ancien nom du SRE, avaient notamment abouti à la chute du gouvernement Juncker en juillet 2013. Les écarts du service alors révélés vont d’ailleurs connaître des prolongements judiciaires début mars, l’ex-directeur Marco Mille étant convoqué, avec deux autres «anciens», dans le bureau d’un juge de Luxembourg.
Les approches novatrices portées par Doris Woltz ne passent visiblement pas dans les rangs du SRE, certains agents la jugeant trop procédurière. Eux estiment au contraire que pour accomplir efficacement leurs missions, ils doivent parfois agir à la marge de la légalité, voire franchir la ligne blanche quand nécessaire.
Ils plaident donc pour un assouplissement de la nouvelle loi et espèrent obtenir quelques allègements quand un premier bilan en sera dressé, peut-être en octobre prochain, un an après son entrée en application. Pour faire connaître leur agacement, ces agents s’appuient sur des officines privées qui exercent un discret lobbying auprès de relais politiques et d’opinion, accréditant l’idée qu’il est dans l’essence même d’un service secret de pouvoir enfreindre la loi. Pour l’instant, il s’agit à peine de coups de semonce. Loin de l’artillerie lourde déployée en 2013 pour abattre Jean-Claude Juncker.
Fabien Grasser