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La guerre aux pauvres

« Une nation ne doit pas être jugée selon la manière dont elle traite ses citoyens les plus éminents, mais ses citoyens les plus faibles. » Les élus chrétiens-sociaux seraient bien avisés de réfléchir à cette citation de Nelson Mandela. Car quelle mouche a donc piqué le CSV pour proposer, jeudi à la Chambre, l’introduction du droit pour la police de faire déguerpir les clochards et autres indésirables (nommé Platzverweis en Allemagne) ?

Il n’apparaît pas que le Grand-Duché soit envahi de hordes de mendiants prêts à tout pour détrousser les honnêtes citoyens. Si une personne réduite à vivre dans la rue menace les passants ou porte atteinte à l’ordre public, la police a déjà toute latitude pour agir. L’introduction d’une telle mesure ne revient qu’à stigmatiser les plus faibles et n’honore pas ceux qui la défendent. Sans passer la pommade à la coalition au pouvoir, on ne peut que se féliciter de sa condamnation sans équivoque de la motion présentée par le CSV.

En temps de crise, pointer du doigt les plus pauvres est une recette politicienne vieille comme le monde. Chez le voisin français, il est ainsi de bon ton de qualifier les minima sociaux de «cancer de l’assistanat». Mais le Luxembourg n’est pas en crise et, avec une croissance attendue en 2017 largement supérieure à 3%, il fait partie du peloton de tête en Europe.

D’autant plus qu’une telle mesure ouvrirait la boîte de Pandore. Pourquoi pas alors proposer de généraliser du mobilier urbain anti-sans-abri (des bancs avec accoudoirs ou des plots dans les halls d’immeuble pour que les clochards ne puissent pas s’allonger) ? Pourquoi ne pas prendre aussi des règlements communaux pour interdire aux sans-abri de fouiller dans les poubelles?

À l’heure où les élites luxembourgeoises n’ont plus que le «nation branding» à la bouche et alors que le Grand-Duché a cette satanée image de paradis fiscal qui lui colle à la peau, est-ce vraiment une bonne idée de déclarer la guerre aux pauvres ? Surtout quand, dans le même temps, le deuxième pays le plus riche du monde en PIB par habitant (selon le FMI) instaure des «visas dorés» et augmente la durée de rétention des familles avec mineurs déboutées du droit d’asile.

Nicolas Klein