L’armée a suspendu mercredi en Colombie pour un mois ses bombardements contre la guérilla marxiste des Farc, un geste spectaculaire pour accélérer le processus de paix visant à résoudre le plus vieux conflit armé d’Amérique latine.
Le président colombien Juan Manuel Santos s’adresse à la nation depuis le palais présidentiel de Narino, le 10 mars 2015. (Photo : AFP)
L’ordre a été lancé la veille par le président Juan Manuel Santos lors d’une allocution télévisée solennelle à la nation afin d' »impulser une désescalade du conflit » avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). L’arrêt des bombardements, élément clé de la stratégie militaire colombienne, constitue une mesure sans précédent depuis le lancement en novembre 2012 de pourparlers de paix délocalisés à Cuba.
A l’initiative de ces négociations, le président Santos, un dirigeant de centre droit réélu en juin dernier, a expliqué que cette stratégie répondait au cessez-le-feu bilatéral décrété depuis décembre dernier par la guérilla. « Il faut reconnaître qu’ils respectent leur engagement », a souligné le chef de l’Etat, qui avait jusqu’à présent écarté toute trêve avant la signature d’un accord définitif avec la principale rébellion, fondée lors d’une insurrection paysanne en 1964.
Après un délai d’un mois, les autorités procéderont à un nouvel examen de la situation, avant de reconduire ou non la suspension des bombardements, même si Juan Manuel Santos a rappelé que les combats sur le terrain faisaient encore partie des « règles du jeu ». Le conflit armé, qui a impliqué l’armée, des guérillas communistes, des milices paramilitaires d’extrême droite et des bandes criminelles, a fait en plus d’un demi-siècle quelque 220 000 morts et plus de 5 millions de déplacés, selon des chiffres officiels.
> Pas de géant
« L’arrêt temporaire des bombardements permet au processus de paix de progresser à pas de géant », a estimé dans un entretien Ariel Avila, chercheur auprès de la Fondation « Réconciliation et Paix », spécialisée dans le conflit colombien. « Cela ouvre la possibilité d’un cessez-le-feu bilatéral avant même la signature d’un accord de paix », a insisté cet expert. Politologue à l’Université Externado de Bogota, Jaime Zuluaga y voit aussi le signe que le processus « va dans la bonne direction ». « C’est un progrès très significatifs, l’un des plus tangibles depuis ces derniers mois », a-t-il ajouté.
Les négociations de paix ont déjà conduit à des accords pour une réforme rurale, la participation des guérilleros repentis à la politique et la lutte antidrogue. Ce week-end, les autorités et les Farc ont entériné un plan de collaboration pour mener des opérations de déminage dans le pays le plus touché au monde par les mines antipersonnel après l’Afghanistan. Lors de son allocution, le président colombien a aussi annoncé une « Commission de conseillers pour la paix », composés d’anciens guérilleros, religieux, entrepreneurs et de leaders indigènes, ainsi que de personnalités politiques de tout bord.
Toutefois l’opposition a vivement critiqué l’arrêt des bombardements, à l’image de l’ancien président conservateur Alvaro Uribe, populaire pour sa fermeté envers les Farc, qui a accusé son prédécesseur de favoriser la « paralysie des forces armées » sur Twitter. Sous la pression de l’opinion, Juan Manuel Santos a prévenu que l’armée allait intensifier ses actions contre la seconde rébellion du pays, l’Armée de libération nationale (ELN), l’exhortant à monter dans « le train de la paix » au lieu de poursuivre ses « activités délictueuses ».
Le gouvernement et cette rébellion, inspirée de la révolution cubaine, avaient officialisé en juin dernier des contacts exploratoires qui n’ont pas encore débouché sur des pourparlers dans le sillage des Farc. Selon Ariel Avila, ce haussement de ton du gouvernement a pour objectif de « mettre la pression sur cette guérilla afin d’ouvrir les négociations ». Depuis plusieurs mois, cette rébellion, qui prétend agir au nom de la défense des ressources naturelles, a procédé à plusieurs enlèvements, dont celui d’un maire accusé de corruption et de quatre géologues, récemment libérés. Fondées dans les années 60, les Farc et l’ELN constituent les deux dernières guérillas d’extrême gauche encore en activité avec, selon les autorités, respectivement 8 000 et 2 500 combattants, essentiellement repliés dans les régions rurales de Colombie.
AFP