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Meurtre de l’ambassadeur : pas de crise mais un rapprochement russo-turc


Les présidents turc et russe, le 10 octobre dernier à Istanbul. (photo AFP)

L’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie, interprété des deux côtés comme une « provocation » destinée à saper des relations tout juste rétablies, a toutes les chances de rapprocher encore davantage deux pays partenaires qui cherchent à surmonter leurs divergences dans le conflit syrien.

Les images glaçantes du meurtre à bout portant et en direct d’Andreï Karlov ont inévitablement suscité le parallèle avec l’assassinat en juin 1914 à Sarajevo de l’archiduc François-Ferdinand qui avait précipité par le mécanisme des alliances la Première Guerre mondiale. Mais la comparaison a rapidement tourné court, la Russie et la Turquie, bien que rivaux en Syrie, affichant immédiatement leur volonté d’apaisement.

Dès les premières heures qui ont suivi lundi soir le meurtre d’Andreï Karlov, tué par balles par un policier turc à Ankara, M. Erdogan avait téléphoné à son homologue russe.

Dans la foulée, Vladimir Poutine annonçait, avec le feu vert turc, l’envoi d’enquêteurs russes à Ankara pour tenter d’établir les commanditaires du meurtre. Ces dix-huit enquêteurs, agents des services secrets et diplomates ont atterri mardi matin dans la capitale turque.

Et surtout, à la télévision, le président russe définissait clairement ce qu’il considère être le but de l’assassinat de l’ambassadeur: « perturber la normalisation des relations russo-turques », à peine sorties de l’ornière après près d’un an de crise.

M. Erdogan a confirmé mardi que la coopération russo-turque, y compris sur la Syrie, n’était pas en danger, répondant à une volonté similaire formulée la veille par Vladimir Poutine.

« Les Russes ne vont pas blâmer les Turcs pour (ce meurtre), mais vont chercher à en profiter pour obtenir des gains plus importants » dans le contexte syrien, estime James Nixey, expert de la Russie au centre de réflexion Chatham House.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, expliquait ainsi mardi que « la seule chose raisonnable à faire » pour Moscou et Ankara est « d’être encore plus proches et efficaces dans la coopération contre ceux qui sont derrière cette provocation ». La veille, la diplomatie turque avait déjà assuré qu’elle ferait tout pour préserver l’amitié entre les deux pays.

Rapprochement sur la Syrie

Entre les pays héritiers des Empires russe et ottoman, les relations n’ont pas toujours été cordiales. Pendant près d’un an, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan se sont livré une guerre des mots sur fond de profond désaccord sur le sort du président syrien Bachar al-Assad, allié de Moscou mais dont Ankara veut le départ.

Le différend tourne à la grave crise diplomatique en novembre 2015, lorsque la Turquie abat un bombardier russe au dessus de la frontière syrienne. Vladimir Poutine dénonce « un coup de poignard dans le dos ».

Furieux, il accuse pendant des mois son homologue turc et sa famille d’avoir partie liée avec l’organisation Etat islamique et de se livrer au trafic de pétrole. Ce n’est qu’en août 2016 que les deux hommes se réconcilient après un message de « regrets » d’Erdogan à Poutine et une visite du président turc à Moscou.

Ces dernières semaines, les deux pays ont même accentué la « normalisation » de leurs relations en négociant la question du départ des rebelles et des civils des quartiers Est d’Alep.

« Les deux pays ont décidé de se rapprocher. Les Turcs ont reconnu que Bachar al-Assad va rester au pouvoir et qu’ils vont devoir faire avec la présence russe en Syrie », estime Dominique Moisi de l’Institut Montaigne à Paris.

Hasard du calendrier, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense russes et turcs, ainsi que les Iraniens, s’entretenaient mardi à Moscou sur la Syrie, sans Washington ni les Européens.

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a appelé lors de sa rencontre avec son homologue turc à trouver des accords sans pour autant faire de « concessions aux terroristes ».

Américains et Européens sont ainsi de fait écartés du processus de paix en Syrie. Les négociations se font entre Russes et Iraniens d’un côté, Turcs de l’autre.

Le Quotidien / AFP