Le violoncelliste luxembourgeois André Mergenthaler, en mêlant classique, rock et musique contemporaine, repousse les limites de son art. Une histoire d’amour entre un musicien et son instrument.
Il a commencé par une formation classique avant de succomber aux charmes du rock progressif (avec les groupes Univers Zéro et Art Zoyd), de la musique de film ou contemporaine. Adepte de sonorités affranchies de toute approche stylistique, accro à l’improvisation – « qui permet de découvrir et pousser plus loin sa propre technique et sensibilité » – André Mergenthaler est un virtuose sans chaînes, qui aime « créer avec presque rien », et pousser son violoncelle au-delà des limites connues. Ainsi, à travers des relectures surprenantes, lyriques et colorées, il mélange allégrement U2, Jimi Hendrix et Kraftwerk avec des compositions personnelles.
Il sera ce samedi soir à la Kulturfabrik. Rencontre d’un homme passionné, envoûté par son instrument.
À quand remonte votre passion pour le violoncelle ?
André Mergenthaler : Ça remonte à mes 8 ans. Comme tous les jeunes au milieu des années 60, je voulais devenir guitariste. Toutes les semaines, je prenais des cours chez mon voisin, qui travaillait à l’usine, mais possédait de nombreux instruments. Au bout d’un an, je me suis rendu compte que je n’y arriverais pas. J’étais frustré ! Et franchement, les accords, ça m’énervait (il rit). Moi, je voulais glisser sur les cordes. Autant dire que quand j’ai découvert le violoncelle, le coup de foudre a été soudain, même si c’est très compliqué à en jouer.
Il y a eu aussi le saxophone…
Oui, et il m’arrive encore d’en faire aujourd’hui. Mais à côté du violoncelle, tout me semble trop classique, mécanique. C’est un instrument très corporel, avec un son qui n’est jamais fini. Ça ouvre des possibilités énormes. Il n’a pas de limite.
Pourquoi être sorti de la voie classique ?
J’ai découvert assez tôt que, quand j’improvisais, j’étais bien meilleur qu’avec des partitions sous le nez… Dès que le professeur arrivait en retard, je jouais n’importe quoi, je simulais un concerto (il fait des gestes amples avec les bras) . Et ça sonnait beaucoup mieux que lorsque que l’on m’imposait des morceaux. Cette fibre-là, je ne l’ai jamais perdue. Cette sensation d’être toujours sur le fil est plus forte que toute autre. Si je n’avais pas saisi cette flamme en moi pour l’improvisation, je pense que j’aurais été un musicien malheureux, perdu au milieu d’un orchestre, caché derrière les autres.
Vous avez fait du rock progressif, vous appréciez le répertoire classique et contemporain, tout autant que la pop. Finalement, vous êtes un homme qui n’a jamais su, ou voulu, choisir…
(Il rit) C’est bien dit ! Oui, probablement. J’aime la musique, et me fous royalement qu’elle soit classique ou pop ! Je ne suis pas un styliste. Parfois, je peux m’ébahir devant une chanson sans intérêt juste à cause des deux accords du début. Dans la musique, soit il y a quelque chose, soit il n’y a rien. Parfois, il y a de belles promesses, qui disparaissent malheureusement rapidement… Je suis très ouvert, et, parallèlement, intolérant. Ce sont deux sentiments qui avancent ensemble. Il faut savoir quand même fixer des limites, non ?
Durant vos expériences musicales, vous avez été toujours accompagné. Avec ces « Cello Loops », vous êtes seul en scène. Faut-il y voir l’affirmation d’une histoire d’amour fusionnelle entre un musicien et son instrument ?
Ce n’est pas la seule raison, mais oui, ça joue énormément. Jouer tout seul, ce n’est pas évident, mais derrière un violoncelle, c’est déjà mieux. Et, encore une fois, c’est un instrument corporel. Je pense qu’on peut parler de passion. Un peu comme une femme que l’on étreint. D’ailleurs, des gens me disent qu’ils ont l’impression de me voir faire l’amour, sur scène, avec mon instrument. Bon, c’est leur point de vue, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose de physique. Même avec une armée d’effets et de technique, je n’aurais jamais pu faire la même chose avec un saxophone ou une guitare.
Comment vous est venue l’idée de ces « Cello Loops » ?
Il y a une dizaine d’années, ces machines « à boucler » sont arrivées sur le marché, destinées d’abord aux guitaristes – encore eux (il rit) . Moi, à l’époque, je jouais déjà seul, ce qui pouvait paraître un brin austère. Pire, j’utilisais des sons préenregistrés, mais ça sonnait trop « play-back » ! Je me suis donc tourné vers cette technique, qui permettait de se présenter sur scène sans rien, à nu. Je me suis donné une semaine pour maîtriser l’engin. Ça m’a pris deux ans…
Qu’est-ce que cela implique ?
Le violoncelle – grâce à sa tessiture – s’y prête bien. Sans oublier la résonance des cordes, avec laquelle on peut s’amuser. Moi, ça me va, car il faut à la fois préparer des choses, tout en restant spontané sur scène. C’est un mariage qui me convient.
Et mieux vaut ne pas se tromper…
Oui, car dans ce processus de répétition, la boucle revient ! Mais ça fait partie du charme de l’improvisation. Et les gens adorent quand on se plante ! Ça peut être rigolo.
Est-ce que votre musique est définissable ?
Oui, on peut parler de musique planante, poétique. En fait, j’aime ce qui est lent. Dès que ça va vite, ça m’inquiète. Lao Tseu disait : « Si tu veux aller vite, arrête-toi ! » Ce qui me plaît, aussi, c’est le contrepoint, la superposition des harmonies, la répétition… La musique, je la vois de manière horizontale, comment elle évolue dans le temps, comment elle se module, comment elle s’étire, à l’instar d’un élastique.
Vous jouez souvent dans des endroits insolites, des églises aux grottes. Finalement, vous êtes quelqu’un de libre dans vos choix ?
Oui, et merci de me le rappeler, car il arrive que je l’oublie ! Dès fois, on se réveille un matin et on se dit : « Mais qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? Pourquoi ne pas se trouver un bon petit groupe, et faire la même chose chaque soir? » Après, finalement, je me dis que je peux jouer n’importe comment, n’importe où et n’importe quand. Qui peut dire ça ? Pas beaucoup de musiciens… Cette liberté, c’est une richesse irremplaçable.
Par rapport à cette liberté, quel serait votre graal ?
(Il souffle) Continuer comme ça, et préserver cette autonomie. Et pourquoi ne pas envisager de jouer avec les anges, pour un concert jusqu’à la fin des temps. Et la harpe s’accommode très bien du violoncelle !
Quel est votre public ?
Tout le monde ! Les enfants sont là, les yeux grands ouverts, les vieux applaudissent. Je ne sais pas pourquoi, mais ma musique est rassembleuse. Il y a assez longtemps, un banquier, très sympa d’ailleurs, voulait me sponsoriser. Il m’a alors dit : « La première question que tu dois te poser, c’est pour quel public tu joues. » Autant dire que ça n’a pas marché (il rit) .
À quoi faut-il s’attendre ce samedi ?
J’espère ne pas être trop stressé, cette peur de ne pas être à la hauteur. J’espère bien me perdre dans la musique, et ne pas en faire trop.
En somme, vous confiez les clés à votre violoncelle…
Tout à fait. Je lui fais confiance, et après le concert, comme d’habitude, je lui dirai merci.
Entretien avec Grégory Cimatti