Le parquet de Metz demande le renvoi en correctionnelle de onze entreprises qui ont truqué 58 marchés publics.
Depuis 30 ans, les affaires judiciaires qui démontrent les liaisons dangereuses entre élus et secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) se succèdent partout en France. En Lorraine, la dernière enquête bouclée par la justice messine permet d’observer à la loupe les rouages de cette corruption au quotidien, jugée incontournable, voire… banale par certains professionnels.
Quoi?
Après cinq ans d’investigation, le parquet de Metz a demandé début octobre le renvoi en correctionnelle de onze chefs d’entreprise et dirigeants de bureaux d’études, de Pont-à-Mousson à Sarreguemines, qui se sont réparti les marchés des réseaux secs (électricité, téléphonie, éclairage public), de Metz à la Moselle-Est, de 2008 à 2011. Au total, 58 marchés publics de maîtrise d’œuvre, pesant des millions d’euros, auraient été truqués.
Comment?
Le mode opératoire est simple : les entreprises se réunissaient lors de «tables rondes», dans des hôtels ou au siège d’une des sociétés, et même à la Maison du bâtiment, boulevard Paixhans à Metz. Le but était d’éviter de se faire concurrence en s’entendant sur le montant des offres.
Le système bien rodé aurait pu durer encore de nombreuses années si un entrepreneur de Behren-lès-Forbach n’avait dénoncé ce système d’entente et de corruption à la Répression des fraudes de Metz en mars 2009. Il dénonce d’ailleurs des faits de corruption en marge des municipales de Woippy en 2008, mais l’enquête sur l’aspect politique du dossier fait pschitt (lire ci-dessous) et l’entrepreneur «lanceur d’alerte» fait aujourd’hui figure «d’arroseur arrosé», puisqu’il est également poursuivi.
Qui?
Des bureaux d’études, des entreprises de TP et des communes ont participé à ce trucage de marchés publics. Même la présidente de l’époque du syndicat régional des réseaux secs de Lorraine sera jugée prochainement en correctionnelle!
Les élus seront les grands absents du procès. L’instruction démontre pourtant qu’ils étaient «demandeurs» d’arrangements préalables aux marchés. «Oui, c’est un simulacre de concurrence», déplore un des chefs d’entreprise qui, comme les autres sociétés, a avoué ses pratiques au juge, «mais il est accepté par les collectivités, qui ne cachent pas leur préférence pour certains bureaux d’études et ne font rien pour combattre ces concertations».
Le volet «abus de biens sociaux» de l’instruction cible, enfin, les habitudes douteuses mais révélatrices d’un bureau d’études messin. Au cœur du système d’entente sur les marchés, ses responsables étaient choyés par les entreprises, dont de grands noms des travaux publics, et ont reçu plus de 60 000 euros de cadeaux sous toutes les formes : voyages (Italie, Espagne, Crète, Canaries, Grèce…), séjours (à Eurodisney, Center Parcs) sommes en espèces, abonnements divers (golf) et livraison gratuite de matériau (dont des granulats) ou travaux sans contrepartie (installation de portes…) et voitures de luxe en leasing.
Alain Morvan (Le Républicain lorrain)
Dégâts collatéraux entre Masson et Grosdidier
Les sénateurs François Grosdidier et Jean-Louis Masson se sont affrontés en 2012 pendant plusieurs semaines autour d’un enregistrement audio douteux.
L’affaire des ententes sur les marchés de réseaux secs, révélée conjointement par Charlie Hebdo et Le Républicain lorrain le 20 juin 2012, est devenue, le temps d’un été un peu fou, un bras de fer entre François Grosdidier et Jean-Louis Masson, sénateurs et éternels frères ennemis.
Patrick Malick, l’entrepreneur de Behren-lès-Forbach qui a dénoncé les faits, accusait alors le maire de Woippy de corruption. Malick décrivait une manipulation financière permettant à l’entrepreneur de s’acquitter du droit d’accès aux marchés publics de la ville (deux fois 22 000 euros). Patrick Malick racontait notamment aux juges le dépôt, en 2008, d’un chèque dans le bureau du directeur de cabinet de François Grosdidier à la mairie de Woippy. François Grosdidier contestait immédiatement.
Quatre ans plus tard, la justice lui donne raison. Selon nos informations, l’enquête de l’antenne messine du SRPJ de Strasbourg a planché sur le parcours de cet argent jusqu’au Luxembourg, via une société écran (Sotrap Luxembourg). Mais «aucun élément de procédure» n’a permis de démontrer que «les 22 736,22 euros payés par Soger TP [l’ex-entreprise de Malick] à Sotrap Lorraine [dont le patron était proche du directeur de cabinet de François Grosdidier] auraient pu in fine servir au financement de la campagne électorale de François Grosdidier», détaille le réquisitoire définitif du parquet de Metz, que Le Républicain lorrain a consulté.
À l’été 2012, Jean-Louis Masson reprenait sa croisade contre son adversaire de quarante ans et un tiers révélait l’existence d’un enregistrement audio dans lequel on entendait les protagonistes préparer un traquenard pour se débarrasser de Jean-Louis Masson, «en lui mettant une mineure dans son lit au Maroc».
L’enregistrement a été expertisé par la justice et considéré comme trafiqué. Entre-temps, le duo Grosdidier-Masson avait fait un buzz national en se déchirant sur la place publique par voie de presse.
A. M. (Le Républicain lorrain)
Favoritisme chez LogiEst
Une enquête pour corruption et favoritisme est en cours depuis fin 2015. Trois cadres ont été licenciés. Achats de terrains surévalués, travaux payés mais non réalisés, plus-values immédiates, arrangements entre des salariés et des entreprises très régulièrement retenues : le bailleur social Logiest (300 logements, 270 collaborateurs, 5 agences en Lorraine et en Alsace) est au cœur d’une vaste enquête de la section financière du service régional de police judiciaire (SRPJ) depuis novembre 2015.
Les possibles détournements pourraient atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros. Au-delà de la plainte initiale du bailleur social, les langues se sont déliées rapidement autour de LogiEst et certains estiment que l’établissement est en réalité une vache à lait pour de nombreuses entreprises.
Début 2016, des perquisitions ont eu lieu au siège messin de LogiEst.
Depuis le 1er septembre, un nouveau directeur général, Jean-Pierre Raynaud, a été recruté pour «assainir la situation» et entamer «un travail de reconquête de la confiance».
LogiEst
Trois cadres ont été licenciés
Les possibles détournements pourraient atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros.
D’accord, mais ont-ils rendu l’argent ?