L’Afrique du Sud a mis vendredi sa menace à exécution en annonçant son retrait de la Cour pénale internationale (CPI) après la polémique causée par son refus d’arrêter le président soudanais Omar el-Béchir, un camouflet pour la justice internationale.
Conformément à la procédure, Pretoria « a annoncé par écrit au secrétaire général de l’ONU son retrait » de la CPI, a déclaré le ministre sud-africain de la Justice, Michael Masutha. Cette décision prendra effet dans un an « à compter de la date de réception » de la lettre adressée mercredi aux Nations unies, a précisé M. Masutha lors d’une conférence de presse.
Basée à La Haye, la CPI est le premier tribunal international permanent chargé de poursuivre les auteurs présumés de génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Depuis son entrée en fonction en 2003, ses magistrats ont ouvert dix enquêtes dans neuf pays, dont huit africains. Ses cibles lui ont valu de nombreuses critiques sur le continent, notamment celles de l’Union africaine (UA) qui a vu dans ce parti pris une « sorte de chasse raciale ».
Par la voix de son ministre de la Justice, Pretoria l’a rejointe vendredi en accusant la CPI de « préférer de toute évidence viser des dirigeants en Afrique, et exclure les autres qui sont connus pour avoir commis ces atrocités ailleurs ».
L’Afrique du Sud menaçait depuis plus d’un an de dénoncer le traité de Rome, fondateur de la CPI. Elle pourrait désormais devenir le tout premier pays au monde à la quitter.
En 2015, les autorités de Pretoria s’étaient retrouvées au coeur d’une vive controverse à l’occasion de la visite à Johannesburg de M. Béchir pour un sommet de l’Union africaine (UA).
Le gouvernement avait alors refusé d’arrêter le chef de l’Etat soudanais, recherché par la CPI pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour, une région de l’ouest du Soudan en proie à une guerre civile depuis plus de dix ans.
L’Afrique du Sud s’était défendue en expliquant que M. Béchir bénéficiait, de part sa fonction, d’une immunité. C’est précisément cette affaire qui a justifié la décision de Pretoria de se retirer de la CPI.
La Cour « entrave l’aptitude de l’Afrique du Sud à honorer ses obligations en matière de respect de l’immunité diplomatique », a expliqué vendredi M. Masutha.
L’annonce de Pretoria a suscité l’indignation des défenseurs des droits de l’Homme.
Elle « démontre un mépris surprenant pour la justice de la part d’un pays longtemps vu comme un leader mondial en matière de justice pour les victimes des crimes les plus graves », a réagi Human Rights Watch (HRW).
Il s’agit d’une « profonde trahison pour des millions de victimes » qui « sape le système judiciaire international », a dénoncé Amnesty International.
Cette décision risque de produire « un effet domino » et de pousser d’autres pays africains à claquer à leur tour la porte de la CPI, a prévenu le directeur de l’Institute for Security Studies (ISS), Anton du Plessis.
En quelques jours, la Cour a essuyé deux revers majeurs. Mardi, le président burundais Pierre Nkurunziza a promulgué la loi prévoyant que son pays, plongé dans une grave crise politique qui a fait plus de 500 morts, se retire de la Cour. Il ne reste désormais plus au Burundi qu’à en notifier l’ONU pour lancer formellement la procédure. La CPI n’a pas immédiatement réagi à l’annonce de Pretoria.
La semaine dernière, le président de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome de la CPI, Sidiki Kaba, avait cependant prévenu que « le retrait d’un Etat partie constituerait un recul dans la lutte contre l’impunité ».
Le principal parti d’opposition sud-africain, l’Alliance démocratique (DA), a dénoncé la décision « anticonstitutionnelle et irrationnelle » de Pretoria et décidé de saisir la justice pour obtenir son annulation.
Le refus de Pretoria d’arrêter M. Béchir a déjà fait l’objet d’une plainte devant la justice sud-africaine. En mars, la Cour suprême d’appel avait jugé cette décision « illégale » et accusé les autorités de « conduite scandaleuse ».
Ce jugement devait être réexaminé en novembre à la demande du parquet, mais l’annonce de vendredi devrait mettre un terme à cette procédure.
Le Parlement sud-africain devra lui voter « prochainement » la loi abrogeant l’application du traité de Rome, selon le ministre de la Justice.
Le Quotidien / AFP