Guy Delisle, encensé pour ses chroniques de Shenzhen à Jérusalem, partage désormais son expérience de « mauvais père ». Mais après le cocon familial, place à la Tchétchénie.
Dans son « Guide du mauvais père », Guy Delisle impose avec brio son sens aigu de l’observation et de l’autodérision. (Illustrations : DR)
Célèbre pour ses romans graphiques qui décrivent avec un humour acéré la vie à Pyongyang ou Jérusalem, le Canadien Guy Delisle publie un dernier opus de son Guide du mauvais père, un florilège de bourdes d’un papa imparfait. Dans un virage à 180 degrés sur ses livres précédents, il planche maintenant sur un sujet nettement plus grave : l’histoire vraie d’un kidnapping en Tchétchénie.
« Après les Chroniques de Jérusalem, en 2011, j’ai eu envie de faire des livres plus légers, juste pour le plaisir de faire une narration percutante et qui fait rire, alors que quand on raconte l’esplanade des mosquées, il ne faut pas dire n’importe quoi », raconte-t-il, en présentant son Guide du mauvais père 3, paru début janvier chez Delcourt. Après ses albums sur ses séjours en Asie (Shenzhen en 2001, Pyongyang en 2003, puis Chroniques birmanes en 2007) où il a suivi son épouse, envoyée par Médecins sans frontières, son best-seller, Chroniques de Jérusalem qui raconte l’année passée avec sa famille en Israël a remporté le prix du meilleur album en 2012 à Angoulême.
Depuis, avec sa série du « mauvais père », il s’amuse de son quotidien de parent, par des croquis minimalistes mais toujours efficaces. Guy Delisle imagine un père – lui-même – pétri de bonnes intentions et qui fait exactement ce qu’il ne faut pas : un petit cours de grammaire à la volée en lisant à voix haute Harry Potter, un concours de mangeur de moutarde avec son fils… et des sautes d’humeur qui le font passer sans crier gare du laxisme à la sévérité.
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« Maintenant que j’ai des enfants, je suis bien plus magnanime avec les parents qui ne sont pas toujours au top, je le raconte avec humour, ça déculpabilise les papas », s’amuse-t-il. Mais Guy Delisle veut maintenant revenir au monde extérieur, avec sérieux cette fois. « Je traîne ce projet depuis longtemps et je l’ai amorcé assez sérieusement : l’histoire d’un gars que j’ai rencontré dans l’humanitaire, qui s’est fait kidnapper dans le Caucase lors de la première guerre de Tchétchénie il y a une quinzaine d’années et qui, après trois mois, a réussi à s’échapper. »
« Pour une fois ce ne sera pas moi ! », souligne le dessinateur, qui jusqu’ici se mettait toujours en scène dans ses cases comme un narrateur candide. « Il n’y aura pas non plus d’humour. Mais ça me paraît passionnant à raconter. C’est la liberté qu’on a quand on fait de la BD, on peut passer d’un genre à l’autre. » Lui qui aime traquer les détails révélateurs dans des villes lointaines, il ne se voit pas dessiner sur la France. « J’habite à Montpellier depuis des années, je fais trop partie du paysage, je n’ai plus le décalage culturel dont j’ai besoin pour voir ce qui se passe. En France, je ne le remarque plus : quand je vois les gens s’énerver contre le type du guichet dans un bureau de Poste, je trouve ça normal », sourit-il.
Si Guy Delisle peut se réjouir des 200 000 exemplaires vendus pour ses Chroniques de Jérusalem, il vient d’éprouver une énorme déception : fin décembre le studio américain Fox a renoncé à son projet d’adapter au cinéma Pyongyang, avec l’acteur Steve Carell, en raison des problèmes rencontrés par Sony pour son film The Interview qui se moquait du leader nord-coréen. Ce projet prestigieux devait être réalisé par Gore Verbinski (Pirates of the Caribbean).
« Ce qui me désole surtout, ce sont les raisons qui ont conduit à cette annulation », avait alors écrit Guy Delisle sur son blog, dans une chronique justement intitulée « Adieu Hollywood ». « On aurait pu imaginer qu’une grosse multinationale résisterait devant les menaces d’une bande de hackers nord-coréens. Apparemment, ils ont su frapper là où ça fait mal… »
Le Quotidien