Le décès tragique de Michele Scarponi, samedi dernier sur une route d’entraînement, met en lumière le problème de sécurité qui ne concerne pas uniquement les professionnels mais tous les cyclistes. Témoignage de Laurent Didier (32 ans), coureur cycliste professionnel depuis 2010.
La semaine prochaine, il partira pour la Sardaigne où il devrait prendre part au Tour d’Italie et rouler sur des routes fermées au trafic, évidemment parfaitement sécurisées. Mardi, comme à chaque fois que le soleil se voile derrière d’épais nuages, Laurent Didier, professionnel de l’équipe Trek-Segafredo, a installé ses lampes «flash» sur son vélo afin d’être vu par les automobilistes pouvant le doubler en toute tranquillité. Un geste qui, selon lui, n’est pas dérisoire face au danger de plus en plus prégnant. Le dramatique accident qui a coûté la vie, samedi dernier, à l’Italien Michele Scarponi est venu le rappeler à tous. Témoignage d’un usager de la route comme un autre…
L’entraînement en groupe mal perçu. «Personnellement, j’ai de plus en plus de mal à rouler avec d’autres cyclistes à l’entraînement, qu’ils soient professionnels ou non. Je roule souvent seul. Mais par exemple, ces derniers jours, j’ai roulé un peu avec Ben Gastauer (qu’il retrouvera sur la route du prochain Giro). On a roulé côte à côte quelques kilomètres hors agglomération. C’est autorisé dans des conditions acceptables, mais on sent que les automobilistes ne connaissent pas ce point de règlement du code de la route, alors ils nous frôlent, nous klaxonnent. En général, lorsqu’on est en groupe, on fait tout pour ne gêner personne et fluidifier la circulation, mais ce n’est pas simple. Pour mon confort, je préfère l’entraînement en solo.»
De multiples accidents évités. «Lors d’une séance d’entraînement, l’an passé, alors que je roulais avec Bob (Jungels), Alex (Kirsch), on a connu un grand stress lorsqu’un bus qui nous doublait s’est rabattu de façon prématurée sur nous, comme si le chauffeur ne nous avait pas vus. C’est une situation malheureusement courante. Mais là, on s’est retrouvé à rouler dans le fossé… On n’a pas chuté, mais si nous n’avions pas été des coureurs professionnels alors c’est clair qu’on n’aurait pas eu le bon réflexe, et que nous aurions été percutés. Une autre fois, un bus m’a coupé la priorité à un carrefour. Une fois que je l’ai rattrapé, je lui ai signifié mon mécontentement, mais manifestement, il pensait avoir la priorité sur moi. Il en était persuadé, c’est sûr. C’est d’ailleurs un problème constant, la plupart des automobilistes qui grillent la priorité des cyclistes pensent être dans leur droit. Il s’installe alors un dialogue de sourds qui ne va nulle part.»
Trop souvent des frayeurs. «Je suis très prudent quand je pars à l’entraînement et jusqu’ici, Dieu merci, j’ai toujours eu de la chance. Ou plutôt, je pense que j’ai de l’intuition, donc je reste toujours sur mes gardes. J’imagine toujours qu’on va me couper la route sans me prévenir. Souvent, oui, ça fait peur…»
Un équipement adéquat. «En tant que coureur professionnel, nous sommes obligés de porter le casque, mais je le fais depuis longtemps en toute circonstance. Mais en plus, dans notre équipe Trek-Segafredo, on porte à l’entraînement une tenue jaune fluo alors qu’en course, on a une tenue rouge et noir. Avec cette couleur flashy, on nous voit de loin. Et puis notre équipementier Bontrager nous équipe de lampes spéciales, à l’arrière et aussi à l’avant du vélo. On peut nous voir jusqu’à deux kilomètres de distance et ces lampes spéciales maintiennent la vigilance des automobilistes. Je le sens, depuis que je m’en sers, on me frôle moins qu’avant. Il y a un peu plus de respect.»
L’entraînement loin des villes. «Comme j’habite à Dippach, le plus simple pour moi est de partir m’entraîner sur les routes de la Belgique qui sont moins dangereuses et moins fréquentées qu’au Luxembourg. Sinon, je dis toujours aux autres cyclistes que je connais le moyen le plus sûr de s’entraîner au pays. C’est de suivre le circuit au départ de Dippach, suivre Bettembourg, prendre la Moselle, filer à Echternach, Diekirch, Mersch et retour. Un parcours de 150 kilomètres avec seulement six feux tricolores. Moins il y a de feux et de croisements, mieux c’est pour la sécurité.»
La difficulté de s’entraîner sur les pistes cyclables. «Les pistes se développent de manière importante, c’est évidemment une bonne chose. Mais je pense que cette utilisation est surtout valable pour les cyclotouristes ou les familles. Le premier écueil, pour nous cyclistes professionnels, c’est la limitation de vitesse car, forcément, si on s’entraîne, on la dépasse. Ensuite, on y trouve souvent des objets dangereux, des pierres, des branches. De la terre si des tracteurs viennent de passer. Cela peut devenir très dangereux. Sans parler des chiens que leurs maîtres ne tiennent pas en laisse. Et les joggeurs qui écoutent de la musique et ne nous entendent pas venir…»
Un danger de plus en plus présent. «C’est clair que c’est aujourd’hui plus dangereux de faire du vélo qu’il y a tout juste dix ans. J’ai l’impression que le manque de respect est de plus en plus important. Cela n’est d’ailleurs pas réservé qu’à la cohabitation entre les cyclistes et les automobilistes. C’est aussi vrai dans le peloton des courses professionnelles où on voit aujourd’hui des coureurs mettre en danger les autres sans le moindre scrupule. Mais pour revenir au sujet, on peut être inquiet si la tendance se poursuit. C’est un problème que les Pays-Bas et le Danemark ne connaissent pas. Car là-bas, les cyclistes sont prioritaires et chacun a bien ça en tête. »
Denis Bastien