Classée au neuvième rang mondial au terme de cette saison, Christine Majerus fait le point sur sa saison et évoque l’avenir.
Christine Majerus va reprendre le chemin de l’entraînement. Et alors qu’elle est nominée par un magazine spécialisé, avec trois autres championnes, pour être élue cycliste de l’année, la Luxembourgeoise fait le point au terme de sa meilleure saison sur route.
Vous avez terminé les Mondiaux avec une onzième place. Désormais avec un peu de recul, lorsque vous vous retournez sur votre saison, vous pensez à quoi ?
Christine Majerus : Je pense que ma fin de saison était excellente et j’étais contente d’avoir pu terminer sur une bonne note. J’ai eu la satisfaction d’avoir pu me sortir d’un début de saison un peu chaotique et difficile. Je n’ai pas baissé les bras, j’ai pu rebondir et au final, j’ai fait la meilleure saison de ma carrière. C’était une grande satisfaction d’avoir pu rebondir.
La onzième place des Mondiaux vous laisse quelle impression à présent ?
Le résultat me satisfait. J’aurais bien voulu intégrer le top 10, mais pas de stress. Le circuit final me convenait bien. Avant de venir sur les lieux, je ne connaissais pas les difficultés. Quand j’ai découvert ça, mes ambitions étaient moins hautes. C’était vraiment dur. Toutes celles qui sont parties dans la deuxième plus grande difficulté sont les meilleures grimpeuses. Je ne suis pas encore à ce niveau-là. Si à ce moment-là, dans cette difficulté, on m’avait dit que j’allais finir onzième, j’aurais été satisfaite. Cela reflète ma place que j’occupe à peu près au classement UCI (NDLR : elle est neuvième mondiale). C’était une fin de saison un peu à l’arrache également. J’avais été malade avant les Mondiaux et je me trouvais légèrement en forme descendante. Du coup, j’étais quand même contente de mes championnats du monde, onzième, ce n’est pas rien.
Vous allez sur vos 33 ans, on a le sentiment que vous continuez de progresser. Quelles sont les clés ?
J’arrive mieux à anticiper en course et je parviens davantage à gérer les accumulations de course avec l’expérience. En début de carrière, les courses longues comme les courses par étapes ne me réussissaient pas trop. J’étais alors plus performante sur les courses d’un jour un peu moins longues. Avec les années, les courses par étapes de cinq ou six jours ne me font plus peur, au contraire. Sur les longues distances, j’ai mes limites, mais une distance de 150 kilomètres ne me fait plus peur. Lors des Mondiaux, c’est sur le dernier tour de circuit que je me sentais le moins en danger. Après, je ne sais pas si c’était psychologique car il s’agissait du dernier tour. Je pense que physiquement, j’ai pris la caisse et je sais mieux gérer mon capital énergie.
J’aime aller au bout des choses
Vos performances actuelles changent-elles la vision que vous avez de votre carrière ?
Non, cela ne change pas grand-chose pour l’avenir, si ce n’est que je veux rester dans cette même dynamique jusqu’à la prochaine olympiade puisqu’on a l’habitude de fonctionner comme ça. Je vais aller jusque-là. Ensuite, je ne sais pas, je ne suis pas toute jeune non plus. Il faudra voir les opportunités que j’aurais à ce moment-là, les contrats que je pourrais potentiellement avoir. On sait que nos deux sponsors d’équipe (NDLR : Boels et Dolmans) vont s’arrêter après la saison 2020. Ensuite, il faudra voir. C’est une histoire qui a duré longtemps. Je suis quelqu’un de fidèle, donc, je tenais à rester jusqu’au bout, même si je savais que Boels s’arrêterait. J’aime aller au bout des choses. Il n’y avait pas de raison de changer et je tenais à montrer que j’étais contente de ce qu’ils avaient fait pour moi. Après ce chapitre, il faudra voir ce qui se présente à l’horizon. Je prendrai alors la décision de continuer ou de m’arrêter. Après, oui, ce serait dommage de m’arrêter si je suis encore compétitive. Il n’y a pas que ça qui joue, il faut aussi voir l’envie. Je verrai ça en fin de saison 2020.
La structure de votre équipe peut-elle repartir ?
Si ça repart, oui, je ne serais pas contre de rester encore peu. Il faudrait voir en pareil cas comment ça repart et avec qui. Il y a des choses à améliorer comme dans chaque structure. Si je vois que ça va dans le bon sens, ils seront numéro un sur ma liste. Il y aura aussi d’autres nouvelles structures, puisqu’il y a actuellement beaucoup d’équipes masculines qui sont en train de créer leur équipe dames. C’est la tendance. Mais je me sens comme un animal de compagnie avec ses habitudes. J’aime avoir mes repères. Recommencer tout un processus avec une autre équipe me ferait perdre beaucoup d’énergie. Après il faudrait voir si ça vaut le coup ou non. On n’en est pas encore là…
Je suis sur mes gardes au sujet de cette professionnalisation du cyclisme féminin
Ce phénomène que vous décrivez avec des nouvelles équipes souligne un boom du cyclisme féminin. C’est votre avis ?
Oui, il y a de nouvelles équipes et de nouvelles courses. Il faut que les équipes suivent. On ne peut pas éternellement créer de nouvelles courses. Nous n’avons pas assez de coureurs. C’est du gâchis. Il faudrait avoir un effectif plus important, c’est ce qui est en train de se passer. Après, je suis sur mes gardes au sujet de cette professionnalisation du cyclisme féminin. Je connais les dérives du cyclisme masculin. J’ai eu peur qu’on suivre la même voie et ça me fait peur. J’espère que nos dirigeants en ont conscience.
Si on devait comptabiliser le nombre de professionnelles aujourd’hui dans le cyclisme féminin ?
C’est difficile à dire, entre celles qui sont employées dans les différentes armées (NDLR : comme elle-même) et celles dont les équipes payent déjà bien. Le salaire minimal sera là à compter de la saison prochaine, mais je pense que plusieurs filles gagnent plutôt bien leur vie. Il ne suffit pas qu’un quart vive bien et que les trois quarts restants vivent mal. J’espère que les sponsors joueront le jeu. Ce n’est pas le problème des dix premières équipes, mais sans doute des dix suivantes.
Vous êtes donc neuvième mondiale au classement UCI. Considérez-vous que vous gagnez plutôt bien votre vie ?
Oui, cela fait quelques années que je suis à l’armée et c’est surtout ça qui m’a permis d’évoluer. Vous ne m’entendrez jamais beaucoup parler d’argent car j’estime avoir bien géré personnellement et avec les quelques sponsors personnels, que j’ai notamment en hiver pour le cross, je ne me plains pas. Après, c’est vrai que les cinq premières années où j’étais en France, j’estime avoir investi. C’est le cas de beaucoup d’athlètes. Il faut faire des sacrifices au début pour espérer être payé après. C’est ce que j’ai réussi. Je ne me plains pas.
Je suis plutôt du genre à culpabiliser
si je ne fais pas de bonnes performances
Être professionnelle aujourd’hui, c’est plus facile qu’il y a dix ans ?
Je pense que ça va l’être, oui. Si le salaire minimum concerne une quinzaine d’équipes et non plus sept ou moins, qui s’y sont engagées, oui. Des portes s’ouvrent. Avant, on ne gagnait rien. Aujourd’hui dans le peloton, je remarque que des filles parlent de plus en plus d’argent. Ça devient un boulot. Moi, lorsque j’ai commencé, ce n’était pas un travail, c’était ma passion. Au bout d’un moment, j’ai commencé à gagner ma vie avec, mais je n’ai pas considéré ça comme une opportunité. C’est un peu la différence que je vois entre il y a dix ans et aujourd’hui. Les motivations ont un peu changé et je ne sais pas si c’est forcément dans le bon sens. Il faut que ça reste sain, le sport doit rester une passion. Si on peut gagner sa vie, c’est une très grande chance et il faut être reconnaissante. Mais il ne faut pas que l’argent devienne la motivation première. C’est l’une des dérives possibles qui pourraient venir du cyclisme masculin.
Vous concernant, la passion est restée intacte ?
Elle reste intacte, mais la pression est importante. Il y en a qui arrivent à s’en moquer. Moi, non, je suis plutôt du genre à culpabiliser si je ne fais pas de bonnes performances. D’autant plus si je sais que des gens ont mis de l’argent pour moi. Cela m’embête toujours un peu si je ne réussis pas ce que j’ai voulu. Cela ne joue pas sur ma passion du vélo, mais sur la pression.
Le magazine britannique Rouleur, vous a sélectionnée pour l’élection de la cycliste de l’année. Vous êtes quatre avec Marianne Vos, Annemiek Van Vleuten et Kirsten Wild. Le choix sera effectué par les internautes et le résultat sera connu à la fin du mois. Comme avez-vous réagi à cette annonce ?
J’ai été très surprise. Je me retrouve avec des extraterrestres. Si je devais voter moi-même, je ne voterais pas forcément pour moi (elle rit). Ceci dit, ça fait très plaisir, mais c’est le public qui choisit. Ce même public m’a déjà sélectionnée puisque je figurais dans la dizaine de nominées par les journalistes de Rouleur. Je suis déjà contente d’avoir la faveur du public. Mais oui, je suis très étonnée. Mon niveau n’a pas changé d’un seul coup. Mon succès dans le Boels Ladies Tour a peut-être ouvert les yeux à certains, mais je remarque la différence qu’il y a entre le fait d’être dans les meilleures et être dans la lumière. Mon niveau est pourtant le même. Cela m’a fait réfléchir à la façon dont on est vu en tant que sportives. C’est bien beau cette élection, mais on est bien plus à mériter d’être dans cette sélection. Je me sens comme la représentante de celles qui ne gagnent pas autant que les trois autres filles qui sont sélectionnées. Je ne suis pas sûre de gagner, mais ça me fait plaisir. Mais franchement, je ne pense pas gagner, à moins que tout le Luxembourg ne vote pour moi. Et puis je le dis sincèrement, vu les performances, je ne mériterais pas de gagner.
Je ne crois pas avoir une personnalité extravagante ou tape-à-l’œil
C’est peut-être votre personnalité qui séduit…
Je ne sais pas (elle rit). Je ne crois pas avoir une personnalité extravagante ou tape-à-l’œil. Je pense que pas mal de filles du peloton étaient contentes de me voir remporter cette épreuve du World Tour. Je suis une fille qui travaille tout le temps pour mes leaders, qui n’a pas souvent de victoire personnelle. Du coup, j’ai remarqué que beaucoup de filles étaient venues me féliciter. C’est peut-être ça…
Évoquons la saison de cyclo-cross qui arrive…
Normalement, je pars moins longtemps en vacances. J’ai fait mes comptes, ça fera 17 jours sans vélo. Je vais prendre ça à la cool. Je reprendrai la compétition hivernale à Contern le 27 octobre. Je vais tester mes nouveaux vélos. Mais je n’aurai pas d’objectifs jusqu’en janvier. Je vous raconte tous les ans la même chose, mais c’est vrai. Cette année, les règlements UCI ont un peu changé en ce qui concerne les grilles de départ en Coupe du monde. Avant c’est le classement UCI de cross qui comptait. Désormais, ils se basent sur le classement Coupe du monde actuel. Je n’ai pas fait les deux manches américaines, je ne ferai pas la manche suisse (NDLR : le dimanche 20 octobre à Berne). Je n’irai pas non plus à Tabor (le 16 novembre). C’est trop loin et j’ai accepté un contrat pour le lendemain en Suisse. Je pense que cela ne vaut pas le coup de faire autant de kilomètres. Cela fera quatre manches de Coupe du monde que je vais rater. Je débuterai à Coxyde (le 24 novembre), sur le sable, cela me semble compliqué.
Je prendrai donc le cross comme préparation à la route
Le cross sera-t-il moins important à vos yeux ?
Je ne vais pas mettre autant le focus du coup sur la Coupe du monde. Peut-être que ce sera bien, peut-être pas. Je ne vais pas me mettre de stress et juste croiser les doigts pour que je puisse remonter dans le classement avec les manches de Namur (22 décembre), Zolder (26 décembre), Nommay (19 janvier) et Hoogerheide (26 janvier). Après, pour les Mondiaux de Dübendorf (1er et 2 février), c’est un cross que j’ai déjà effectué il y a très longtemps alors que j’étais encore étudiante à Zurich. Cela se passe autour d’un aéroport, c’est tout plat. Il y a beaucoup de prairie. Il peut y avoir de la boue, comme de la neige. Tout dépendra des conditions météo. Cela fera beaucoup de points d’interrogation. Je prendrai donc le cross comme préparation à la route.
Pour finir, que pensez-vous de la relève luxembourgeoise ?
On a Chantal (Hoffmann) qui part. C’était un bon élément. Cela m’attriste. Je savais que c’était sa dernière saison, mais cela fait drôle. Elle n’était pas là pour faire de grands résultats. Mais elle se situait bien dans ce qu’elle faisait, elle était la meilleure. C’est un exemple pour tout le monde. On a aussi Claire (Faber) qui a un bon niveau et qui hésite entre la route et la piste. Ce serait mieux qu’elle se décide vite. Surtout si elle se concentre sur la piste. On n’a malheureusement pas ça dans le sang au Luxembourg. Or pour la piste, il faut l’avoir. Ici, on n’a pas de piste, on l’aura d’ici on ne sait pas combien de temps… Claire peut réussir aussi bien sur route que sur piste, mais il faut faire un choix. Avec la professionnalisation du cyclisme féminin, elle peut faire son chemin. Après, il y a Anne-Sophie Harsch qui a eu une fin de saison compliquée, elle a été malade. Il y a surtout Marie Schreiber qui peut en surprendre beaucoup. Elle est encore jeune. Laissons-lui le temps. Elle et Nina Berton sont dans le même club, s’entendent bien, elles peuvent bien faire. Mais il faut être prudent et attendre qu’elles soient espoirs. Je ne suis pas inquiète pour ces filles-là.
Entretien avec Denis Bastien