La Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) estime que la «loi burqa» n’est pas nécessaire, du moins à l’heure actuelle. L’organe consultatif du gouvernement a présenté mardi un avis critique et exhorte le gouvernement à revoir sa copie.
Compétente pour se prononcer et assister le gouvernement sur toutes questions de portée générale qui concernent les droits de l’homme sur le territoire national, la CCDH n’a pas mâché ses mots, lors de la présentation de la «loi burqa», qui n’est encore, pour rappel, qu’au stade du projet de loi.
En ce qui concerne sa dénomination précise, tout d’abord. Car si le texte a été baptisé «projet de loi (…) créant une infraction de dissimulation du visage dans certains lieux publics», la CCDH n’est certainement pas dupe : «Le législateur vise clairement l’interdiction du port du voile intégral, ou burqa voire niqab, par des femmes de confession musulmane», indique le président de la CCDH, Gilbert Pregno.
En ce sens, la commission invite le gouvernement «à analyser les implications potentielles d’une interdiction sur les droits des femmes et à prévoir des mesures permettant d’éviter la marginalisation des femmes visées, les dangers de la polarisation de la société et de stigmatisation d’une communauté religieuse», selon Gilbert Pregno.
«Un copier-coller des lois belge et française»
Comprendre, en effet, qu’il s’agit là du principal grief formulé à l’encontre du texte du ministre de la Justice, Félix Braz.
«Le gouvernement a tout simplement copié, sans faire la moindre analyse ou étude sérieuse, la jurisprudence émanant de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg», ont établi Gilbert Pregno ainsi que les deux juristes de la CCDH, Me Deidre Du Bois et Francis Maquil. «L’islam du Luxembourg n’est pas comparable à l’islam de France ou à l’islam de Belgique. De plus, aucun débat public ou campagne de sensibilisation n’ont été organisés, et la société civile, tout comme la communauté musulmane du pays, n’ont pas été consultées. Sans parler des principales personnes concernées, qui n’ont pas non plus été sollicitées; il faut trouver un juste équilibre et non partir sur une approche binaire de type pour ou contre», ont-ils déploré.
En clair, la CCDH s’oppose au projet de loi car il ne tiendrait pas compte, selon elle, des réalités de la société luxembourgeoise : «Il est censé apporter des solutions à des problèmes qui n’existent pas dans le contexte luxembourgeois à l’heure actuelle (et) estime que le projet n’est pas compatible avec les droits de l’homme, parce que le caractère nécessaire de la restriction aux libertés individuelles des personnes concernées n’est pas suffisamment démontré.»
Les critères de la justification et de la proportionnalité d’une telle loi ne seraient donc pas remplis. «Quel en serait l’impact ?», s’est encore interrogé Gilbert Pregno, avant de «démonter» une bonne fois pour toutes ce texte, en estimant qu’il relève du «non-sens».
Claude Damiani
Un faux débat ?
La CCDH estime que les femmes de confession musulmane, potentiellement concernées par la «loi burqa» – qu’elles soient forcées ou non à porter le voile intégral –, sont au nombre de cinq à dix au Grand-Duché. Néanmoins, Gilbert Pregno a rappelé que, d’un point de vue purement juridique, l’opposition de la CCDH ne se basait pas sur ce paramètre du faible nombre de personnes visées : «Notre fort engagement par rapport à la loi permettant aux personnes transgenres et aux personnes intersexes de demander la modification de la mention de leur sexe à l’état civil le démontre. Car ces personnes ne sont pas non plus très nombreuses.»
Ceci dit, à la question de savoir si la CCDH considérait le débat global comme étant, finalement, «un faux débat», Gilbert Pregno a nuancé et rappelé sa position : «Je dirais qu’il s’agit d’un projet de loi qui n’a pas de sens, du moins pour le moment; peut-être aura-t-il du sens dans cinq ans ? Je ne peux pas le prédire.»
Quoi qu’il advienne, la CCDH est d’avis que des mesures promouvant les droits des femmes et les principes structurants de la société permettraient de mieux atteindre le but recherché. Enfin, la CCDH invite le gouvernement à soutenir les femmes contraintes à porter le voile intégral et à réfléchir à une pénalisation des auteurs de telles contraintes.