« La stratégie de mobilité ne peut être que le résultat de la stratégie de planification urbaine », a expliqué le ministre François Bausch mardi, lors d’une conférence sur les frontières de la croissance luxembourgeoise. Où l’épineux dilemme entre « gagner des habitants » ou « gagner des frontaliers » s’est posé.
La langue de François Bausch a fourché, révélant un enjeu clef de la relation transfrontalière. «Je préfère favoriser l’immigration que l’augmentation des frontaliers à l’avenir. C’est plus facile à gérer, mais cela a un coût», a-t-il lâché. Inévitablement ! Plus d’habitants, c’est plus d’écoles à construire, plus de piscines, plus de routes, plus de tout. En sachant qu’un actif débarque au pays avec potentiellement un autre membre du couple qui ne travaille pas, ou des proches à charge…
Pour le moment, le modèle du développement luxembourgeois permet un tour de passe-passe formidable : 50 % des actifs retournent dans un autre pays le soir (Belgique, France, Allemagne), et sont donc à la charge de cet autre pays, en l’absence de compensations fiscales. C’est « banco » : ils payent des impôts ici, mais retournent utiliser des infrastructures ailleurs. Avec quelques bémols bien sûr, comme la nécessité d’investir dans les transports pour les acheminer.
Les pays voisins participent à la compétitivité fiscale du Luxembourg
«Les communes de résidence assument des coûts plus élevés que les communes de travail», avait déclaré Claude Haegi, libéral et ancien maire de Genève, pour expliquer le sens des rétrocessions fiscales accordées aux bassins frontaliers de la Haute-Savoie et de l’Ain (France).
Ce n’est pas autre chose que constatent certains élus lorrains, même si l’état français compense certains manques à gagner dans leurs communes et… participe ainsi directement à la compétitivité fiscale du Luxembourg. Puisque tout ce qui est pris en charge du côté français (ou belge et allemand) est un poids d’investissement public en moins ici (crèche, taxe ordure, vieillesse etc.). Et permet -entre autres stratégies économiques- de maintenir des prélèvements fiscaux compétitifs au Grand-Duché. D’où l’absence d’impôts locaux pour les résidents luxembourgeois, par exemple.
Le Sillon Lorrain, dans un communiqué publié à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron au Luxembourg, avait avancé une estimation chiffrée : « Si le Luxembourg devait assumer la totalité des charges générées par son développement économique, il faudrait qu’il relève l’ensemble de sa fiscalité de 30%. »
D’autres facteurs en jeu
«C’est effectivement un lourd travail de comptabilité à mener, nous confiait un chercheur luxembourgeois, lors d’une discussion informelle, il y a quelques mois. Sachant que le facteur de la consommation (NDLR, dont bénéficie les voisins) entre en jeu aussi… mais que les frontaliers dépensent tout de même 20% de leur revenu au Luxembourg.» Sachant aussi que les bouchons sont une perte de temps, donc d’argent pour le Grand-Duché. Sachant enfin que les capacités de constructions annuelles de logements ne sont pas illimitées au Luxembourg (4 000 unités, estime le président de l’UDP), et que tout inversement de tendance ne se décrète pas depuis un bureau.
En dix ans, un quart de population supplémentaire
Plus tôt dans la conférence, Vincent Hein, économiste à la fondation Idéa, avait rappelé que dans un scénario médian, le Luxembourg gagnerait entre 100 000 et 200 000 habitants (soit un total de 700 000 à 800 000 habitants), d’ici 2030. Alors que le nombre de frontaliers augmenterait de 75 000 dans le même temps (soit 270 000 frontaliers Français, Belges et Allemands en 2030). Il a aussi expliqué que ces dix dernières années, le Luxembourg avait gagné 1/4 de population supplémentaire et 1/3 de frontaliers. François Bausch a lui-même fait un calcul vertigineux lors de la conférence : «On ne pourra pas gagner en une dizaine d’années la population que l’on gagnait en un siècle avant» Et donc ? Gagner plus d’habitants, ou gagner plus de frontaliers ?
Hubert Gamelon