Le logement est l’un des dossiers clefs des élections législatives d’octobre. Lundi soir, aux Rotondes, des spécialistes réunis par le Liser et Le Quotidien ont confronté leurs regards. Et que ce « café-débat » fût… débattu !
Le constat.Le ministre du Logement, Marc Hansen, commence, «sans vouloir polémiquer», par rappeler le retard de logements de l’ordre de «30 000 unités au Luxembourg». Quant à la demande actuelle, elle serait de 6 000 logements par an pour suivre la croissance. Aux dernières statistiques officielles (Statec), le Luxembourg en construit en moyenne 2 600 par an. Mais Marc Hansen l’assure : selon les dernières données remontées par les communes «qu’il faudra compiler plus précisément», le Luxembourg construirait plus de 6 000 logements par an depuis 2016 (voire 6 500!). L’avocat Georges Krieger, dont le mordant n’est plus à démontrer, hoche de la tête négativement. Il ne croit pas en ces prévisions…
Quelle capacité réelle de construction ? Pour Georges Krieger, le rythme de croisière de 6 000 logements par an est inaccessible. «Il faut être réaliste par rapport à nos infrastructures et à la capacité de construction des professionnels! Je dirais que 3 800 logements par an constituent notre plafond.» Le café-débat vire sur la question de la disponibilité des terrains. Marc Hansen estime que 2 700 hectares sont constructibles dans le pays. Le maître de cérémonie Claude Gengler, directeur du Quotidien, souligne que «92 % de ces terrains sont aux mains de particuliers, petits propriétaires ou grosses entreprises».
Comment inciter les propriétaires à lâcher du terrain ? Le ministre Hansen rappelle quelques mesures phares votées par sa majorité : 1) L’obligation de construction «dans un délai de trois à six ans» sur les terrains rendus constructibles. Sinon, le terrain est déclassé. 2) La possibilité pour les communes de taxer les logements vides. Mesure embryonnaire pour le moment, adoptée par huit communes (dont Esch) pour des taxes jugées peu dissuasives : 1 000 euros par an et par logement vide depuis plus de 18 mois. 3) Le droit de préemption de l’État sur les terrains à vendre dans certains périmètres des agglomérations. Cette dernière option est coûteuse pour l’État, car il rachète au prix du marché.
Georges Krieger s’insurge contre cette dernière mesure considérée à demi-mot comme lénifiante! «On entend souvent dire, Monsieur le ministre, que des gros propriétaires bloquent le jeu de la construction au Luxembourg par pure spéculation. Moi, je vais vous en citer un… c’est l’État! Vous préemptez partout, mais sans forcément construire. On en revient à la question des limites dans notre pays, et vous y êtes soumis comme tout le monde.» Un intervenant dans la salle suggère que l’on fasse venir des Chinois par milliers pour bâtir le pays… Marc Hansen demande un joker.
Les jeunes familles sont notamment heureuses de pouvoir habiter une maison »
Faut-il aller vivre derrière les frontières? Les intervenants en arrivent à la conclusion que la pénurie de logements a un impact fort sur la diversité des habitants… Les prix de l’immobilier repoussent certaines franges de la population (les moins favorisés mais pas seulement : les jeunes familles aussi) derrière les frontières. Le Luxembourg se retrouve avec un dilemme : selon une étude du Liser, reposant sur 2 000 sondés, les résidents qui partent s’installer dans les pays voisins sont globalement satisfaits de leur nouvelle vie. «Il y a certes la problématique des transports, qui reste numéro 1. Et pas seulement pour le travail car, on le voit, les transports s’allongent pour les loisirs», souligne Samuel Carpentier, l’universitaire auteur de l’étude. Mais le bonheur d’accéder à la propriété dans des conditions où on en «a pour son argent», insiste Claude Gengler, est plus fort. Les jeunes familles sont notamment heureuses de pouvoir habiter une maison, alors que dans le sondage, elles expliquaient vivre dans un appartement à Luxembourg.
Puis un jeune homme prit la parole… Dans le public, un jeune homme de Vianden veut s’exprimer sur l’accès au logement. Il explique qu’il va se faire «dégager de sa maison» vendredi par un huissier, qu’il gagne 2 000 euros et sa femme 1 600 euros comme serveuse. Le jeune homme résume ses contacts avec les agences sociales : «Ce sont des délais de cinq ans pour avoir un logement subventionné, et je n’ai pas cinq ans devant moi.» Georges Krieger coupe court : «Vendredi soir, vous dormirez dans un lit. C’est la loi. L’office communal va venir avec l’huissier et sera obligé de vous proposer une solution.» – «Ce n’est pas ce qu’ils m’ont dit. Ils m’ont demandé de voir avec les campings ou avec de la famille. Vous vous rendez compte, j’ai des enfants!» Cette séquence, peu importe la précision des faits (il y aurait eu des problèmes de loyers non payés), remet les pieds sur terre à tout le monde.
Ce que peut faire l’État pour un logement abordable : Les intervenants enchaînent sur le thème du logement subventionné. Marc Hansen résume : «C’est pour limiter la spéculation que l’État préempte un maximum de terrains (120 hectares sur les trois dernières années), et j’en suis fier. Pour les vendeurs de terrains, ça ne change rien, puisque l’État rachète au même prix qu’un privé. Pour l’acquéreur du logement en bout de chaîne, ça change tout, car l’État ne va pas maximiser ses profits.»
Deux types de logements «sociaux» (l’expression ne figure dans aucun texte) existent : la location subventionnée selon les revenus du postulant et la subvention à l’achat. Pour ce deuxième cas, là encore, le ministre vante son bilan. «Avant notre loi, l’acquéreur pouvait revendre sur le marché privé un logement subventionné! Aujourd’hui, l’État peut le préempter pour conserver la main sur son parc social. Le parc social est en train de doubler, voire tripler.» Mais les chiffres restent faibles : le Fonds du logement possède 1 850 unités (pour 2 500 demandes en attente), la Société nationale des habitations à bon marché possède 9 000 logements, l’Agence immobilière sociale (AIS) enfin, gère environ 500 logements. C’est peu, pour 600 000 habitants…
Au final, que veut vraiment le Luxembourg? De quoi conclure, pour le maître de cérémonie, avec quelques perspectives fortes : «Que veut-on sincèrement pour ce pays? J’entends les mots de croissance qualitative et la volonté d’attirer les actifs haut de gamme, très bien. Donc on attirera toujours plus de riches en se plaignant que le prix de l’immobilier ne cesse de grimper? C’est paradoxal non? Autre réflexion… On dit que l’on va faire baisser le prix de l’immobilier en construisant de plus en plus. Je rappelle que 100 000 logements en plus, c’est au final 240 000 habitants supplémentaires (moyenne de 2,4 habitants par foyer). Est-ce que nous sommes prêts à cela?» Un peu plus tôt, Claude Gengler, connaisseur des enjeux frontaliers, avait souligné : «Si on ne veut pas que le Luxembourg devienne Singapour, il faudra repenser nos liens avec nos régions voisines. C’est tabou aujourd’hui, mais ça ne le sera plus dans quelques années : ce n’est pas seulement du transport qu’il faudra financer de l’autre côté de la frontière, mais du logement et des infrastructures liées aussi!»
Hubert Gamelon.