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Jean-Marie Pelt : la blague de l’homme abeille


Avec un talent indéniable de conteur, Jean-Marie Pelt, botaniste et ethnopharmacologue de renom, a expliqué les fragiles équilibres qui régissent la nature et l'impact de l'homme. (Photo Hervé Montaigu)

Parfois, une bonne histoire vaut mieux qu’un long discours. Extrait du discours de Jean-Marie Pelt, qui est venu jeudi soir, sur invitation de l’ASBL natur&ëmwelt, rencontrer ses amis luxembourgeois pour leur parler – avec talent ! – de biodiversité.

« Quand j’ai commencé mes études de pharmacie en 1951, j’ai fait un herbier pour la faculté. À Rodemack, j’ai donc récolté dans les champs des fleurs sauvages, que j’ai collées sur des planches de carton avec le nom latin, le nom français et leurs utilisations. Cet herbier, je l’ai conservé. Eh bien, aujourd’hui, à Rodemack, je ne pourrais plus faire cet herbier, car certaines plantes ne sont plus là. Par exemple, dans les moissons, il y avait des bleuets, des coquelicots, des marguerites et quelques autres plantes très fleuries, très jolies. Elles ne sont plus là. Elles ont disparu avec les herbicides, que l’on a répandus pour les faire disparaître évidemment. »

« La question qui se pose, c’est : est-ce que c’est grave ? Eh bien oui, c’est grave. Car ces petites fleurs nourrissaient les abeilles. Et aujourd’hui, les abeilles sont mal nourries, et par-dessus le marché attaquées par les pesticides. En Europe occidentale, on a perdu sur 20 ans 40 % des populations de nos ruches. Mais le plus grave, ce n’est pas le miel. C’est que les abeilles pollinisent les fleurs, qui donnent ensuite les fruits, les légumes. Sans pollinisation, il n’y a plus de fruits et de légumes. Et c’est ce qui est arrivé il y a trois ans, en Californie, où les immenses vergers d’amandiers n’ont pas été pollinisés, car il n’y avait plus d’abeilles. Et la production d’amandes sur le marché international s’est complètement effondrée. Et là, on a eu un exemple de ce qui peut se passer si cette perte des abeilles s’aggravait. Car on a calculé que sans elles, on perdrait plus du tiers des aliments végétaux nutritifs. »

Un cadeau de 153 milliards de dollars

« Pourtant, certains ont dit que ce n’était pas forcément très grave, car s’il n’y avait plus d’abeilles, on pourrait mettre des gens dans les champs. Ils auront une petite plume d’oie, ils mettront la plume sur les étamines, prendront le pollen et le poseront sur le pistil, et ainsi on aura une pollinisation, par nous, les humains. »

« Donc, on a calculé qu’il faudrait embaucher beaucoup de monde et que ça coûterait chaque année 153 milliards de dollars. Voilà ce que nous permettent d’économiser les abeilles. Il y a même des économistes un peu cinglées qui ont dit : mais non, ce serait très bien, ça créerait de l’emploi. Et on pourrait, avec l’université du Luxembourg, par exemple, à laquelle je souhaite bon vent, créer des diplômes de pollinisateur ! » (Rire dans la salle).

On dirait une blague, et pourtant non. On voit, dans cette histoire, qu’il y a des liens très étroits entre les espèces et les services que se rendent ces espèces. Eh bien l’écologie, c’est ça. C’est la science de ces équilibres subtils, et de ces interrelations souvent méconnues entre des éléments qui paraissent disparates, et qui sont pourtant tous reliés les uns aux autres.»

Propos recueillis par Romain Van Dyck

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