Le Bureau de la Chambre des députés, vexé par le téléchargement de données non publiques, a décidé de saisir le parquet pour identifier les coupables. Une enquête en interne est aussi en cours.
La Chambre des députés a cherché, vendredi, à attirer l’attention sur ceux qui ont téléchargé une grande quantité de documents «internes et sensibles». «Il ne s’agit pas d’une bagatelle», a martelé le président Mars Di Bartolomeo après une réunion de crise de plus de deux heures. Principale conclusion : tous les éléments de cette «grave panne» seront transmis au parquet de Luxembourg. Avec quelles suites pour nos confrères de la station 100,7, qui ont révélé mercredi soir cette faille informatique?
On ne peut s’empêcher de penser à la métaphore de l’arroseur arrosé. Le 6 juillet dernier, plusieurs chefs de fraction se sont plaints, lors d’une réunion confidentielle, du manque de couverture par la presse nationale des travaux parlementaires. Le chef de file du LSAP à la Chambre, Alex Bodry, était selon un procès-verbal interne, publié vendredi par la radio 100,7, le plus vexé. L’ancien ministre aurait en effet estimé que vu le montant élevé des aides publiques accordées aux médias, les comptes rendus dans les colonnes et sur les ondes laissaient à désirer.
La presse remplit cependant bien sa mission de quatrième pouvoir, comme le prouve depuis mercredi l’enquête menée par nos confrères de la radio socioculturelle. Sous le hashtag Chamberleak, le rédacteur en chef, Jean-Claude Franck, et son collègue Claude Biver ont révélé une faille informatique d’envergure sur le site internet du Parlement. Les deux journalistes ont réussi à mettre la main sur une large panoplie de documents non destinés au public.
Vendredi, ce travail journalistique a poussé le président de la Chambre des députés à convoquer une réunion de crise avec les chefs de fraction du DP, du LSAP, de déi gréng et du CSV. Il est revenu au seul Mars Di Bartolomeo de livrer les conclusions, toujours provisoires, de cette « grave panne » qui éclabousse le Parlement.
Le premier citoyen du pays n’a pas nié la « responsabilité » de l’institution qu’est la Chambre des députés dans cet « incident ». « Nous avons connu un problème de sécurité. Mais on a aussi eu besoin de quelqu’un qui profite de la fenêtre non visible pour se procurer des données internes et sensibles », fait remarquer Mars Di Bartolomeo. « On ne sait pas si ce sont uniquement des journalistes bienveillants qui ont consulté et téléchargé ces documents. Pour la plupart, ils étaient destinés à la publication, mais d’autres étaient bien plus confidentiels », ajoute l’ancien journaliste du Tageblatt .
«Il ne s’agit pas d’une bagatelle»
Lors de sa déclaration devant la presse, vendredi après-midi, Mars Di Bartolomeo a finalement très peu évoqué la responsabilité interne du Parlement. Il aura bien plus longuement expliqué la « décision unanime » prise par le Bureau de la Chambre. « Il ne s’agit pas d’une bagatelle. C’est pourquoi on a décidé d’informer le parquet et de lui transmettre tous les éléments en notre possession », annonce le président. « Ce n’est pas à moi de statuer sur la question de la responsabilité. Mais comme j’aime toujours le répéter : nous en tant que Parlement on respecte notre déontologie. J’espère que ceux qui se sont procuré ces documents en feront de même », ajoute-t-il.
Entre les lignes, on sent que Mars Di Bartolomeo est non seulement remonté, mais qu’il tente aussi de mettre la pression sur la station de radio 100,7 pour ne pas publier d’autres documents internes. Il est cependant fort à parier que sa rédaction en chef ne va pas céder. Vendredi, Jean-Claude Franck a en effet souligné sur le site internet de la radio publique qu’on ne pouvait pas parler d’«intrusion». «Les données étaient accessibles publiquement», a-t-il précisé.
En attendant les conclusions du parquet, la Chambre va continuer à évaluer l’«ampleur» et le «type précis» de documents qui ont été téléchargés. « On continue à se faire conseiller par notre service juridique en interne, mais aussi par des conseils extérieurs », précise Mars Di Bartolomeo. La Commission nationale pour la protection des données (CNPD) sera aussi consultée par la Chambre des députés.
« On a tout fait pour que ce genre de panne ne puisse plus se produire », conclut le président du Parlement. Mais est-ce que l’arroseur arrosé aura vraiment tiré les bonnes conclusions de cette affaire? Les semaines et mois à venir devront le démontrer.
David Marques
Comme dans bon nombre d’affaires, on est confronté au scénario du «parole contre parole». « On a détecté plusieurs tentatives d’intrusion, ce qui confirme que cela n’a été ni un hasard ni une promenade de santé pour accéder à ces données non publiques », clame le président de la Chambre des députés. Nos confrères de la station 100,7 rétorquent qu’« il ne fallait pas être un génie informatique » pour trouver cette faille et accéder aux documents. Pour rappel : la faille a été détectée dès 2015 pour être corrigée dans la foulée. Des opérations de maintenance ont fait que ce correctif a disparu. « On sait depuis quand cela a été le cas, mais je ne préfère pas me prononcer sur ce point », s’est contenté de dire vendredi Mars Di Bartolomeo.