À l’occasion des législatives, Le Quotidien passe à table à l’heure du petit-déj’ (ou du digestif en l’occurence) avec les têtes de liste ou les candidats emblématiques. Pour un échange libre et dépourvu, si possible, de langue de bois.
Une fois n’est pas coutume, la rubrique «petit-déjeuner» du Quotidien a dû être déclinée en rubrique «digestif d’après déjeuner», agenda chargé de Premier ministre oblige. Cela dit, le principe reste le même, et c’est donc sur le coup de 14h que Xavier Bettel avait fixé rendez-vous, dans la véritable institution de la capitale qu’est le café Interview de la rue Aldringen, un bar qui n’aura finalement jamais aussi bien porté son nom.
Pile à l’heure, le Premier ministre est d’emblée allé saluer le non moins mythique patron grec de l’établissement, Ioannis Stefanopoulos, qui tient le café depuis près de 30 ans, et en grec s’il vous plaît. Car Xavier Bettel maîtrise très bien la langue hellène, après avoir notamment effectué un échange européen universitaire de mobilité Erasmus à l’université Aristote de Thessalonique, lorsqu’il a fait son droit.
Après avoir serré la main de quelques clients puis commandé une eau gazeuse issue du terroir, dite «Blue», le Premier ministre se met à table tout en se réjouissant de se retrouver dans ce café du centre-ville pour un entretien, «parce que ça change de le faire ici», mais surtout car il affectionne «l’Inter», l’un des cafés qui ont marqué sa jeunesse : «C’est un lieu très sympa où l’on se donnait rendez-vous et où on refaisait un peu le monde autour d’un petit café.» Cela dit, si l’heure n’était pas à celle de refaire le monde, lors de notre rencontre, elle l’était bien plus sûrement pour refaire la politique intérieure et la législature qui arrive à son terme.
«Je suis très zen parce que j’ai bonne conscience !», confie d’entrée le Premier ministre, lorsqu’il est interrogé sur son état d’esprit, à l’approche des élections. «Et non, je ne souffre aucunement d’insomnie(s)», poursuit-il, avant d’entrer dans le vif du sujet. «J’ai bonne conscience d’avoir fait ce qu’il fallait faire. Ensuite ce sera aux gens de décider si c’était bien ou pas. Le travail nécessaire a été fait durant ces cinq ans, que cela plaise à l’opposition ou pas ! Le pays se porte en tout cas mieux qu’il y a cinq ans… et c’est important en politique d’avoir bonne conscience», estime-t-il.
Après avoir largement modernisé le pays, par le biais de multiples réformes sociétales, le Premier ministre est logiquement d’avis que le boulot n’est pas terminé et donc, qu’il doit être reconduit dans ses fonctions par les électeurs : «Bien sûr que le boulot n’est pas achevé ! Je dirais deux choses : la première est que le fait de tout stopper ou de faire marche arrière, serait catastrophique. La seconde est que le fait de ne pas poursuivre cette modernisation, aux niveaux économique, de l’éducation, de la famille, des transports (…), viendrait mettre un frein à cette avancée qui était, je le répète, nécessaire. Ce serait vraiment dommage !»
Dans ce cadre général, Xavier Bettel réfute le terme de «révolution», employé par certains pour qualifier son action politique : «Ce fut une évolution, qui était indispensable.» En quel sens, finalement ? «Je savais, au début, que les mesures que j’allais prendre n’allaient pas être les plus populaires, mais aujourd’hui, on commence à sentir les résultats : le chômage a bien baissé, l’économie va mieux, nous avons beaucoup investi dans les infrastructures… C’est cela qui est important ! On voit que la croissance est au rendez-vous; ce n’était pas évident au départ, mais tous ces signaux nous disent qu’il faut continuer.»
Savoir « prendre et encaisser les coups »
Quant aux réformes proprement dites, Xavier Bettel ne souhaite pas en mettre une, bien particulière, en avant : «Je ne peux pas, car ce serait donner moins d’importance aux autres. La première était de remettre les finances publiques sur les rails. Car sinon, je n’aurais pas pu faire la politique sociale que je souhaitais, avec une politique familiale où l’on a réformé le congé parental. (…) Je pense vraiment qu’il s’agissait d’une évolution nécessaire. À titre d’exemple, j’évoquerais les relations avec l’Église, la loi sur l’IVG, la réforme des Services de secours, la loi hospitalière, les activités spatiales, le fait que le pays ne se trouve plus sur une liste noire (NDLR : de paradis fiscaux)… Tout simplement, j’ai l’impression que, très souvent, la politique au Luxembourg est en retard par rapport à la population. Nous, politiciens, avons couru derrière l’évolution de la société ! Cela manquait et nous avons vraiment avancé.»
Cela étant, le Premier ministre est lucide et n’a certainement pas la mémoire courte, quand il s’agit d’aborder les critiques permanentes qui ont émaillé son mandat, qu’elles proviennent de syndicats, du patronat, de la société civile ou des médias. «On ne peut pas dire que les critiques ne sont pas fondées parce que chacun peut avoir un point de vue différent et je respecte cela. Je dois aussi accepter la critique. Je ne fais pas de politique pour plaire à 100% de la population ou pour faire du clientélisme et me faire applaudir par certains, mais je la fais dans l’intérêt général. Je me dois parfois de prendre des mesures impopulaires. Si j’avais voulu rester populaire et éviter la critique, je n’aurais rien dû faire, mais cela n’est pas une option. Ceci dit, heureusement que nous sommes dans un pays dans lequel on peut critiquer, où la presse, les syndicats et le patronat peuvent critiquer. C’est terrible à dire, mais c’est un équilibre !», est d’avis Xavier Bettel.
Par extension, le chef du gouvernement accepte volontiers d’être pris pour le «bouc émissaire» de tous les maux du pays, car «il s’agit du jeu politique» et que c’est la conséquence du rôle d’ «un capitaine de navire, à savoir que l’on est derrière son équipe pour la soutenir et devant celle-ci pour prendre et encaisser les coups».
Dans le même registre et face à l’opposition proposée par le CSV, que le parti a qualifiée de «constructive» cinq ans durant, le Premier ministre n’a qu’un seul mot à la bouche : «Le CSV a fait de l’opposition, point.» Relancé sur la question, Xavier Bettel se montre plus volubile et… habile : «Ce qui me distingue de certains leaders du CSV, c’est que je reconnais les qualités de mes prédécesseurs. Si aujourd’hui je parle d’activités spatiales, c’est parce que nous avons eu un Pierre Werner (NDLR : ancien Premier ministre) qui était du CSV et qui a su prendre les bonnes décisions au bon moment. Idem concernant le digital, je citerais les bonnes décisions, au bon moment, de Jean-Louis Schiltz (NDLR : ancien ministre CSV).»
« Certains font de la politique pour invoquer la peur »
En clair, le Premier ministre souligne qu’il reconnaît, aussi, «les qualités des autres», mais il trouve «dommage» que ces cinq ans aient été «destructifs de la part de l’opposition, avec très peu de propositions concrètes mais surtout beaucoup de critiques». Xavier Bettel va même plus loin en pensant que «beaucoup de gens ont été déçus de cette politique». Et ce constat est encore valable aujourd’hui, selon le chef du gouvernement : «Le CSV dit qu’il a ‘un plan’… mais on ne sait pas ce qu’il veut concrètement faire.» De surcroît, Xavier Bettel reste dubitatif face aux déclarations du CSV qui, «pendant cinq ans, a dit vouloir détricoter et changer tout ce que nous avons fait, alors que je retrouve très peu de cette ambition de revirement dans son programme électoral».
Après avoir rappelé à Xavier Bettel que la majorité a continuellement été attaquée sur la thématique du logement, le Premier ministre se montre catégorique : «Celui qui pense que le logement se règle en une législature se trompe. Le logement et l’éducation sont deux sujets qu’il faut éviter de politiser; il faut se mettre tous ensemble autour d’une table pour trouver des solutions. Concernant le logement, certains veulent une main interventionniste pour obliger. Or, il faut encourager et inciter. Je rappelle que je suis le seul (le DP) contre l’expropriation. »
Au sujet de la campagne électorale proprement dite et du slogan du DP («Zukunft op Lëtzebuergesch»), qui a été mal perçu par certains, Xavier Bettel défend ses troupes : «Ce slogan, ‘L’avenir en luxembourgeois’ signifie aussi ‘L’avenir du modèle luxembourgeois’ qui est celui, justement, d’avoir le luxembourgeois, mais aussi le multilinguisme. Je ne comprends pas ceux qui veulent expliquer que le luxembourgeois est contre le multilinguisme et vice versa. Je suis fier de notre langue, de notre culture et de nos traditions; mais l’on peut être fier sans nécessairement être contre une autre culture. Le multilinguisme est une force de ce pays, mais il faut aussi favoriser le luxembourgeois comme langue d’intégration. Ce modèle luxembourgeois est aussi celui du dialogue, du respect et de la paix sociale, et il faut le défendre. Certains partis, dont le CSV, donnent l’impression de tout mettre en doute, car ils utilisent le concept de la croissance comme terme fourre-tout, dans lequel ils intègrent la langue, la culture, le logement, le transport… et de cette façon, ils font de la politique pour invoquer la peur, sans vraiment le dire.»
Claude Damiani
Ce sera un coude à coude avec le dragon csv
Bravo pour le travail accompli.