« C’est tabou sur mon lieu de travail alors je dis ‘on’ ou bien que je suis célibataire. » A la veille de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, les stratégies d’Antoine pour cacher son homosexualité restent très répandues dans le monde professionnel.
Antoine (prénom modifié), 26 ans, comptable dans un groupe de luxe depuis plus d’un an, pense que ce serait « un frein pour une promotion » de parler de sa vie de couple avec Guillaume, 33 ans, chef de produit dans un groupe de télécoms et qui, lui, a fait son coming out sur son lieu de travail. Antoine et Guillaume illustrent la disparité des situations et les difficultés qui persistent dans certaines entreprises à être soi-même.
Ce que confirme une étude publiée la semaine dernière par The Boston Consulting Group (BCG), réalisée entre mars et avril 2017 auprès d’étudiants et de jeunes professionnels LGBT, en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. Sur les 1 636 personnes ayant répondu à un questionnaire auto-administré, en France 13% d’entre elles mentent sur le genre de leur partenaire ou se déclarent célibataire. Elles étaient 11% en 2015. Au Royaume-Uni et en Allemagne ils ne sont que 4% à adopter cette attitude. Dire son homosexualité dans une entreprise en France est moins vu comme un risque (30%) en 2017 qu’en 2015 (49%). Thomas Delanot, responsable Europe du réseau LGBT et co-auteur de l’enquête pour BCG, estime qu’il y a « globalement une dynamique positive en France même si 20% ne se sentent pas d’être out à leur travail ». Ils sont 17% au Royaume-Uni et 18% en Allemagne.
Le secteur d’activité de l’entreprise est une composante importante du choix des jeunes LGBT pour choisir leur futur emploi et leur éventuel coming out. En France, la grande consommation et le luxe (61%), les services publics (58%) et les médias et la culture (58%) arrivent en tête des secteurs où les salariés ont fait leur coming out. A l’inverse, seuls 35% des sondés seraient à l’aise pour faire leur coming out dans la finance, et 44% dans l’industrie. Antoine, étudiant à l’époque, garde un très mauvais souvenir de son passage dans l’industrie lors d’un stage de comptabilité. « Ce fut une période difficile. C’était l’époque du débat sur le mariage pour tous. Les gens se sont lâchés, nous insultaient », raconte-t-il.
« Autocensure » des salariés
L’avocat Patrick Thiébart du cabinet Jeantet, spécialisé dans les discriminations au travail, évoque une « autocensure de la part des salariés », bien qu’ « en France nous ayons un cadre juridique fort et une jurisprudence qui s’en empare ». Il cite pour exemple la condamnation en appel en septembre 2016 de BNP Paribas à verser plus de 600 000 euros à un ancien salarié homosexuel, en raison du « comportement machiste et sexiste » de ses collègues qui a créé « un environnement de travail particulièrement oppressant ». Comme le stipule le code du travail, l’employeur a l’obligation d’assurer la santé physique et mentale de ses salariés, de « manière active depuis la loi Rebsamen entrée en vigueur le 1er janvier 2016 », ajoute l’avocat. Ce qui fait dire à Me Thiébart que l’orientation sexuelle « ne fait pas seulement partie de la sphère privée. Et les entreprises qui le pensent se trompent ».
Enfin, pour les étudiants et jeunes professionnels amenés à voyager pour leur travail dans des pays où l’homosexualité est interdite et réprimée, « la loi les protège », dit encore l’avocat. « Il suffit que le salarié indique à son employeur que son refus est motivé par son orientation sexuelle et les dangers qu’il encourt » pour ne pas partir. « En aucun cas, ce refus motivé ne peut être une cause de licenciement », explique-t-il. Pour Antoine, « cela poserait un problème car je dirais non » à une mission à l’étranger, mais pour éviter une sanction, « je ferais un coming out forcé ».
Le Quotidien/AFP