La liaison Micheville-Belval sera ouverte vendredi. On peut saluer un projet ambitieux tant par l’argent investi depuis quinze ans que par les défis relevés pour la reconversion d’une friche. Mais au final, beaucoup d’incohérences existent. Et un goût d’inachevé.
La liaison Villerupt-Belval marquera vendredi l’aboutissement d’un projet vieux de 15 ans. La route de 12 km serpente de Tiercelet (France) à Belval, en contournant les centres de Villerupt, Audun-le-Tiche et Esch-sur-Alzette. Élus luxembourgeois et français vont couper le ruban tout sourire. Mais de nombreuses interrogations demeurent.
Une route vers Belval ou Luxembourg?
En arrivant sur le territoire luxembourgeois, le conducteur français a le choix : entrer dans Belval par une route 2×1 voie qui longe le chemin de fer. Ou prendre un tunnel 2×2 voies sous Belval, tout droit, pour filer vers Luxembourg. Qui dit accès facile, dit dynamisme de territoire. À ce jeu-là, on se demande si ce n’est pas la capitale qui ressort gagnante!
« La question ne se pose pas en ces termes », rétorque Guy Besch, le conseiller du gouvernement qui suit le dossier. « En 2000, quand nous avons lancé Belval, nous savions qu’un jour il y aurait une route côté français. Or Belval doit rester une cité modèle. Notamment au niveau du déplacement. Nous voulions au moins 40 % de transport alternatif à la voiture. À partir de là, il était hors de question de créer un accès direct et « envahissant » à Belval.» D’où un tunnel sous la cité.
Des bouchons en vue
La liaison doit désengorger les centres d’Esch-sur-Alzette, Audun-le-Tiche, Villerupt, Russange et Rédange. Ça ne sera probablement pas complètement le cas, car de nombreux conducteurs vont continuer à prendre les axes habituels.
Surtout, les automobilistes souhaitant rejoindre la capitale vont tomber sur un os : à la sortie du tunnel 2×2 voies, les travaux vers la jonction A4/Luxembourg ne sont même pas commencés! Ce tronçon ne sera achevé qu’en 2020.
Les voitures vont donc buter sur un rond-point provisoire, puis sur celui de Raemerich, puis enfin sur l’A4. «Ça va être la pagaille , lâche un agent de terrain. On a mis la charrue avant les bœufs. » Ou on a fait exprès de la mettre…
Heureusement il y a le train!
Le conducteur déçu ne pourra en revanche pas rater le parking relais à l’entrée de Belval : 1 600 places juste en face de la gare! « Les abonnés aux trains auront un accès gratuit au P+R », nous explique-t-on. Avec un train toutes les vingt minutes pour la capitale, tout devient facile. « Nous soupçonner de faire les travaux en deux fois pour créer des bouchons et inciter les gens à prendre le train, c’est faux », coupe Guy Besch. « Nous sommes sur des investissements coûteux, voilà tout. »
Mais le gouvernement ne cache pas sa volonté de limiter les voitures : « Nous multiplions les parkings relais à l’entrée du pays pour mettre fin à l’engorgement de la capitale. » Comme à Pétange, où 2 000 places sont en projet. Le message envers les Français est clair : vous pouvez construire toutes les routes que vous voulez, la capitale est saturée.
À terme, une A31 «bis bis» ?
Le scénario «bagnoles à tout prix», qui n’enchante personne au Luxembourg, serait celui d’une autoroute A31 «bis bis», en référence à l’éternel projet de dédoublement de l’A31 française. On s’explique. La liaison vers Belval permettra de rejoindre l’A4 (qui emmène vers la capitale) de façon optimale en 2020.
Du côté français, un projet de jonction entre la liaison Belval et l’A30 (parallèle à l’A31) est dans les cartons. Des problèmes d’expropriation à Tiercelet, non loin d’Hussigny-Godbrange, l’empêchent pour le moment.
Pour autant, une fois que ce verrou aura sauté, la jonction A30-A4 pourrait intéresser beaucoup de frontaliers venant de tout le bassin ouest, de Metz jusqu’à Longwy! « Ça serait impensable », glisse Guy Besch. « Notre A4 n’est pas calibrée pour encaisser un tel flux .» Avant de conclure « qu’on ne peut pas décider à la place des conducteurs »…
Dossier : Hubert Gamelon (Le Quotidien) et Damien Golini (Le Républicain lorrain)
Analyse : tout ça pour ça !
Tout ça pour ça. C’est l’impression qui domine, à la veille de l’inauguration de la liaison Micheville-Belval. Plus de 400 millions d’euros ont été investis par la France et le Luxembourg pour douze kilomètres qui soulèvent beaucoup de questions. Certes, une route relie désormais Villerupt à Belval.
Mais :
1. L’objectif de désengorger les centres d’Esch-sur-Alzette, Audun et Villerupt n’est pas sûr d’être atteint. Sur le tronçon de Villerupt, ouvert depuis cinq mois, la fréquentation est décevante.
2. La coordination des politiques de mobilité apparaît très imparfaite entre le Luxembourg et la France. À gros traits : le premier veut les frontaliers sans les voitures, avec le doux rêve que tout le monde prendra le train (si seulement les lignes transfrontalières arrivaient à l’heure…) Le second persiste à «penser bagnole» alors que le Luxembourg, sa capitale en particulier, est saturé.
3. Résultat : un projet ambigu, européen par défaut. Une route qui aura son utilité, certes, mais qui sent bon les années 90. Loin des enjeux de la mobilité de demain, comme si ce projet avait trop traîné.
Du côté français, de sérieux doutes aussi
Audun-le-Tiche sera toujours encombré
Audun-le-Tiche toujours encombré ? C’est même une évidence, si l’on en juge au tracé. Initialement «vendue» comme un contournement de la commune, la liaison part en fait de Tiercelet, en Meurthe-et-Moselle, pour rejoindre Audun-le-Tiche à Micheville.
Ce qui laisse penser que les frontaliers venant du Pays-Haut mosellan (Aumetz, Ottange, Boulange, Fontoy et jusqu’à la vallée de la Fensch) continueront d’emprunter l’axe principal de la commune pour se rendre à Luxembourg ou à Esch-sur-Alzette. Ces derniers n’auront en effet aucun intérêt à rouler dix minutes de plus pour rejoindre Tiercelet.
Une vision que conteste le président du conseil départemental de la Moselle, Patrick Weiten : « Il a toujours été question de répondre à la question du transit frontalier, pas à celle de la desserte de proximité. Il ne faut pas non plus déserter les centres-villes. »
Pas sûr que cela plaise aux Audunois qui voient circuler 20 000 véhicules par jour dans leurs rues. Pour contourner la ville, il aurait fallu tracer une route 100 % mosellane, parallèle à la D16. Ce qui aurait par ailleurs demandé au conseil départemental de la Moselle un plus gros effort financier.
Une route longue et sinueuse
Un contournement, par définition, sert à contourner un encombrement. Encombrement que l’on retrouve notamment à Villerupt aux heures de pointe. Or la partie meurthe-et-mosellane de la liaison, pour préserver la biodiversité, a épousé la topographie chahutée par les activités sidérurgiques en leur temps.
Résultat : une route jugée « longue et sinueuse », limitée par endroit à 50 km/h, plus longue à traverser encore que la liaison Audun-Villerupt, même bouchonnée. De quoi inciter les frontaliers à se poser la question du chemin le plus pertinent. C’était à parier, si l’on considère que l’on opte souvent pour la route la plus rapide et non pas pour la moins encombrée…
Les automobilistes, d’ailleurs ne s’y trompent pas. Depuis l’ouverture de ce tronçon, seuls 2 000 véhicules (10 % de poids lourds) empruntent cette route, alors que les autorités en attendaient le double.
Une route… pas finie!
Depuis le début, on parle de «liaison A30-Belval», et pourtant… À l’heure actuelle, aucun tronçon ne relie le contournement à l’A30! Il débute en effet au giratoire de Tiercelet.
Pour venir jusque-là, deux solutions : passer par la petite commune de Tiercelet, qui comprend un virage à 90 degrés et un pont très étroit, ou passer par Hussigny, déjà saturée. Son maire, Laurent Righi, en atteste : « Au carrefour de la mairie, ça va coincer entre deux axes de circulation (NDLR : l’un vers Tiercelet, l’autre vers Differdange) . Tout comme au niveau de la D26 .»
La réalisation du tronçon manquant est donc urgente. André Corzani, vice-président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, l’affirme : une nouvelle voie devrait être construite « ces prochaines années » entre l’A30 et le contournement. Mais personne ne sait quand, ni précisément où. Surtout qu’il reste un problème de taille : convaincre les agriculteurs qui possèdent les terrains situés entre l’A30 et Tiercelet. C’est pas gagné.
En guise de conclusion
Les attentes sont grandes. La déception risque de l’être au moins autant. C’est à se demander qui sont les vrais gagnants de ce contournement. Les automobilistes ou les habitants des communes contournées?
« Les deux », affirme tout de go Patrick Weiten. Il est légitime d’en douter. Puisque au final, les premiers cités ne vont pas forcément rejoindre le Luxembourg plus vite, alors que les seconds seront toujours importunés par un trafic dense dans leur ville. Le tracé relève plutôt du compromis : environnemental, financier, politique… Mais une chose est sûre : il n’y aura pas de compromis sur les bouchons.
« Belval doit rester une cité modèle […] au niveau du déplacement.» Et donc… on a construit une autoroute à 400M€, sans relier Belval et Esch pour les vélos et les piétons.
bonjour,
votre titre est mensongé, sinon prenez le pari avec moi que le bouchon entre esch et audun fera parti du passé.
Que le perdant paye son resto?