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Rencontre avec Jean-Marie Pelt, pionnier de l’écologie


Pour le botaniste lorrain Jean-Marie Pelt, l’évolution de l’univers et de la vie doit davantage à la coopération qu’à l’adversité. Il expose cette théorie du « principe d’associativité » dans « Le Monde a-t-il un sens ? »

Botaniste, ethnopharmacologue, vulgarisateur scientifique, Jean-Marie Pelt publiait au printemps dernier Le Monde a-t-il un sens ? en compagnie de Pierre Rahbi. À 81 ans, ce pionnier de l’écologie continue inlassablement à militer pour l’environnement, un combat débuté « avant Jésus-Christ », plaisante-t-il. Au-delà de son engagement scientifique, le discours de Jean-Marie Pelt est résolument humaniste. Rencontre avec un sage et un inébranlable optimiste.

Le Monde a-t-il un sens ? raconte l’épopée de l’univers, du big bang à l’homme. Vous affirmez que cette évolution est le fruit du « principe d’associativité ». De quoi s’agit-il ?

C’est une idée que j’ai développée en réfléchissant à la question de l’évolution depuis que j’étais étudiant. Mon patron universitaire avait été l’élève de Teilhard de Chardin, grand théoricien de l’évolution. L’idée du principe d’associativité est que des éléments simples peuvent s’associer. Ils s’associent par deux, ou davantage, pour donner des éléments plus complexes. Jusque-là, cela tombe un peu sous le sens. Mais ce qui est important, c’est que cette association crée l’émergence de propriétés nouvelles. Ce qu’illustre la célèbre phrase de Pascal : « Le tout est plus que la somme des parties. » Ce principe a joué pendant toute l’histoire de l’univers connu, depuis le big bang, c’est-à-dire depuis le premier milliardième de milliardième de seconde après le point T. C’est un phénomène qui a été constant, présent à chaque étape de l’évolution par la sélection naturelle, si on veut parler comme Darwin.

Cela semble pourtant contraire aux théories de Darwin ?

On a fait de Darwin l’homme de la loi de la jungle, mais ce n’était pas tout à fait ça parce que, dans la nature, il n’y a pas que de l’agressivité et de la compétition. Il y a aussi de la coopération. Je l’ai déjà montré dans plusieurs livres et c’est une manière de remettre à l’endroit des choses qui ont été trop souvent mises à l’envers.

Cette interprétation de Darwin dérive-t-elle de l’actuelle vision compétitive du monde ?

Darwin a bien arrangé les philosophes du XIXe siècle. Les marxistes y ont trouvé le modèle de la lutte des classes, tandis que les libéraux celui de la concurrence parfaite, où on tue le concurrent. Ça a gauchi tout le système social, le faisant reposer sur la compétition.

Comment est reçue votre théorie par la communauté scientifique ?

C’est une idée nouvelle que j’ai développée. Le principe mérite d’être pris en considération, de faire l’objet d’une réflexion. Venant du monde scientifique, je n’ai pas eu de critiques ou, pour parler clair, personne ne m’est rentré dans le chou. Il faut dire que, scientifiquement, c’est bien étayé. Ce sont des faits précis. Les faits sont difficiles à contester, on peut à la rigueur aller contre l’interprétation.

Vous n’avez jamais caché votre foi chrétienne et l’une des choses qui vous distinguent d’une large part de la communauté scientifique est votre croyance à un dessein divin derrière la création ?

C’est ce qu’on peut penser, c’est ce que je pense moi. Mais on est autorisé à penser qu’il n’y en a pas. Moi, j’en vois un puisque, sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, je l’ai dessiné dans mon livre. Le dessein, ce sont ces étapes progressives que je décris et qui me font penser qu’il y a une direction.

Qui ne serait donc pas due au hasard ?

Non, même si le hasard a joué un rôle important. Là où je me sépare de beaucoup de biologistes, c’est que je pense qu’il n’y a pas que le hasard.

Tout en étant scientifique, votre démonstration est très accessible au profane. Tout votre parcours est marqué par une volonté de transmission, de vulgarisation. Est-ce une nécessité pour vous ?

Je pense que notre société est fatiguée. Mon ami Pierre Rabhi pense qu’on fait de l’acharnement thérapeutique pour sauver ce qu’on n’a pas pu sauver jusqu’à présent. Il faut s’adresser au grand public et non à une élite car il est important de travailler au basculement, qui arrivera tôt ou tard, vers une économie moins destructrice de la nature et plus respectueuse de l’avenir de nos enfants.

Vous êtes optimiste sur ce point ?

Je suis écologiste depuis soixante ans et ce que je vois aujourd’hui, c’est qu’il y a beaucoup d’initiatives positives partout. Il y a six ans, j’ai publié un livre qui s’appelle C’est vert et ça marche. J’y racontais de belles initiatives à caractère écologique. Aujourd’hui, je ne pourrais plus faire ce livre parce que des initiatives de ce type, il y en a maintenant des milliers, portées par des ONG, des associations, des collectivités territoriales, des entreprises. On constate une évolution importante ces dix dernières années, même si le vieux système se défend farouchement.

L’écologie occupe une place croissante dans le discours politique. Pensez-vous que c’est sincère ?

J’ai assisté il y a quinze jours à une conférence de Michel Rocard (NDLR : Premier ministre français de 1988 à 1991). Il disait que le discours politique est totalement décrédibilisé. Selon lui, le discours glisse bien, est bien charpenté mais il ne convainc personne. Et il a ajouté : « Les gens ont compris que le pouvoir n’est pas entre les mains du politique, il est entre les mains des grands financiers, des multinationales et des rédacteurs en chef du 20 heures. » C’est très vrai, même s’il ne faut pas agonir les politiques. En France, par exemple, les verts essayent de faire bouger le Parti socialiste… laborieusement. Ça bouge un peu, mais pas très fort. Il y a aussi François Hollande qui aimerait réussir la conférence sur le climat en 2015. Ce serait une étoile à accrocher à sa couronne qui en manque fâcheusement.

Les freins restent donc nombreux ?

Oui, ça ne va pas assez vite et pas d’une manière unanime. Les clivages sont encore forts. Sur ce terrain, les oppositions entre droite et gauche devraient disparaître car on est dans le bien commun. N’importe qui comprend que la détérioration de la qualité de l’environnement touche aussi bien l’homme de droite que celui de gauche.

Le sommet sur le climat qui vient de se tenir au Pérou a une nouvelle fois révélé l’opposition entre pays riches, partisans de la réduction des gaz à effet de serre, et les pays pauvres ou émergeants, tenants du droit au développement. Comment sortir de ce dilemme ?

Il faut que les riches mettent la main au porte-monnaie et il faut que les pauvres bénéficient de l’argent des riches pour s’adapter. Il faut en faire un objectif commun à toute l’humanité. Un objectif qui réunit tous les humains c’est formidable, non ?

Parmi les alternatives au pétrole, la France promeut le nucléaire. Avec la proximité de la centrale de Cattenom, cette question est sensible au Luxembourg où une large majorité de la population y est opposée…

Pour moi, le nucléaire a été une énergie de transition, pas une énergie de l’avenir. Il va coûter de plus en plus cher et il coûte déjà aussi cher, sinon plus que certaines énergies renouvelables. Il y a aussi le risque d’un accident dont les conséquences peuvent être vertigineuses. Et puis on laisse aux générations futures les déchets sur des milliers d’années, ce qui est honteux et totalement inacceptable. Pour toutes ces raisons, je me mets du côté des Luxembourgeois.

Votre livre est coécrit avec Pierre Rabhi, pionnier de l’agriculture biologique et militant de la décroissance. Comment est née cette collaboration ?

Le livre est né de ma volonté de ramasser ma réflexion de tant d’années de travail et la mettre en forme. Pierre Rabhi est un ami avec qui on s’appelle souvent. Pendant que j’écrivais mon bouquin, nous avons discuté de ce principe de coopération dont il parle lui aussi. Et il m’en a si bien parlé que je lui ai dit : « Écoute, écris-le toi, c’est mieux que ce soit toi. » Et c’est comme ça qu’il a écrit la deuxième partie du livre. C’était complètement imprévu. Pierre Rabhi est un prophète. Un phénomène médiatiquement surprenant. Il a un succès gigantesque, de quoi rendre jaloux les politiques. Dès qu’il débarque quelque part, il y a mille personnes qui viennent l’entendre. Cela montre que la sensibilité à l’écologie augmente, ce qui est très nouveau.

Comme pour Stéphane Hessel, l’on voit aujourd’hui que ce sont les anciens, comme vous ou Pierre Rabhi, qui tirent la sonnette d’alarme…

On me pose souvent cette question de savoir qui dira les belles choses quand notre génération ne sera plus là? Notre génération a encore une vision globale des choses. C’est ce qu’on appelle la sagesse. Cette vision disparaît. Les sciences sont devenues extrêmement spécialisées, chaque discipline est dans son pré carré. Il y a aussi des stéréotypes culturels très puissants et qui font que tout le monde répète la même chose. Il y a cette pensée unique qui fait des ravages. Les stéréotypes nous emprisonnent, la parole n’est plus libre. Je ressens cela très fortement dans ce qu’on pourrait appeler la culture actuelle, si tant est qu’il s’agisse d’une culture.

Vous en doutez ?

Il y a aujourd’hui une conception très réductionniste, très scientiste des choses. On vit dans un monde où il n’y a plus d’arrière-monde, avec toute la richesse que suppose cette expression. Le monde est amputé de ce qui est porteur d’espoir, alors on est morose et c’est logique, tout se tient. Mais je vois qu’il y a une attente très forte de tous les gens, pas juste d’une catégorie sociale précise. Mais elle ne reçoit aucune réponse. Dans le même temps, on est envahi par la politique, la prégnance de la politique à la télé, c’est quand même effrayant… tous les jours, du matin au soir, du soir au matin. C’est étouffant, on étouffe dans cette culture.

Qui est aussi une culture de la consommation ?

Il y a aujourd’hui deux maîtres-mots : l’un est de consommer et l’autre de faire de plus en plus de technologies. Les médias relaient chaque jour des hymnes à la gloire de la technologie. Il y a quinze jours, par exemple, j’ai lu qu’un mec a inventé des baskets avec des semelles chauffantes dont il peut régler la température à partir de son portable… Ce n’est quand même pas cela qui est important. Ce qui l’est, c’est qu’on grandisse en qualité humaine et que l’humanisme ne soit pas éteint par les machines. Ce sont les rencontres qui sont importantes, mais c’est devenu rare. Ce qui était la règle autrefois est devenu l’exception aujourd’hui.

Êtes-vous du même avis que Pierre Rabhi qui juge que le salut passe par la sobriété ?

On est très bien avec une sobriété heureuse, comme l’appelle Pierre Rabhi. Si vous avez des relations humaines de bonne qualité, vous trouvez votre bonheur ailleurs que dans la consommation de gadgets. Si vous investissez dans la qualité des relations avec vos amis, dans votre couple, vos enfants, votre famille, c’est fabuleux. C’est ça qui fait l’équilibre profond de la vie.

Entretien avec Fabien Grasser