Une mère de famille de 28 ans sans casier judiciaire : ce profil « original » dirigeait l’une des plus importantes plateformes illégales en France, démantelée mardi, sur le dark web, la partie cachée d’internet propice aux trafics divers.
Le forum « Black Hand » (la main noire), qui proposait à la vente depuis plus de deux ans de nombreux produits et services illicites (drogues, armes, faux papiers, données bancaires volées…), a été « démantelé » mardi avec l’interpellation de quatre personnes et la saisie de près de 4 000 euros en liquide et environ 25 000 euros dans diverses monnaies virtuelles.
L’administratrice, arrêtée dans la région de Lille, était « connue sous le pseudonyme d’Anouchka, mais elle en a eu plusieurs autres, comme Hadès », détaille sous couvert d’anonymat Nicolas, responsable de l’opération menée par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). « Une femme active à ce niveau-là, c’est assez original », commente-t-il, ajoutant qu’elle avait deux enfants et était sans emploi. Anouchka n’était pas la créatrice de Black Hand, elle en avait récupéré la gestion, mais elle n’en était pas à sa première expérience sur le dark net – dont le contenu n’est pas indexé par les moteurs de recherche classiques -, même si elle n’avait pas un « profil d’ingénieur informaticien geek », commente encore le responsable.
Elle gagnait des « dizaines de milliers d’euros par an »
Après une enquête d’environ un an, deux modérateurs-vendeurs ont été également arrêtés et mis en examen, ainsi qu’un « simple vendeur », parmi « des dizaines » sur le forum qui comptait 3 000 membres. « Pour qu’ils ne s’avertissent pas les uns les autres, car même s’ils ne se connaissaient pas ‘in real life’ (en chair et en os), ils échangeaient par messagerie cryptée », les interpellations ont eu lieu lors d’une opération « simultanée » dans les régions de Lille, Montpellier et Marseille.
Lors des perquisitions, les enquêteurs ont pu accéder au contenu du serveur de « Black Hand » et procéder à la saisie massive des données. S’il est « très difficile » d’évaluer le volume du chiffre d’affaires du forum, Nicolas jauge à « plusieurs dizaines de milliers d’euros par an » de revenus pour l’administratrice. Elle et les deux modérateurs se rémunéraient de diverses manières : d’abord via les inscriptions (entre 25 et 50 euros), mais également grâce à un système de garantie dans les transactions, appelé « Escrow », sur lequel ils percevaient entre 2 à 5% de commission environ. Enfin, les vendeurs pouvaient payer « des cotisations pour avoir un référencement de qualité sur le site ».
Des profils étonnants
Au-delà de ces flux d’argent, il y a « une tout autre économie pour les vendeurs, qui, eux, touchaient beaucoup d’argent », ajoute le responsable de la DNRED. Une quarantaine d’agents ont été mobilisés sur l’opération, « première du genre en France », selon le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin. Nicolas ne veut pas livrer les « secrets de fabrique » de la section de la DNRED qui traque les fraudeurs sur le net, ni les détails de l’enquête qui a permis le démantèlement de la plateforme, les utilisateurs du dark web étant, selon lui, extrêmement attentifs à tout ce qui pourrait être divulgué.
« On n’a pas fait tomber une inconnue », souligne-t-il, « on voit les réactions, les inquiétudes sur les forums du dark net: ça réagit, ça s’inquiète. Et ils ont raison de s’inquiéter. C’est ce qu’on recherchait ».
L’enquête, qui se poursuit, a été confiée à l’Office central de la lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC). « Ce n’est que le début », souligne François-Xavier Masson, patron de l’OCLCTIC. « Nous allons maintenant travailler sur les administrateurs, la structure même de la plateforme », explique-t-il, soulignant le « profil étonnant » des protagonistes. « Il y a la mère de famille, un cuistot au chômage, des petits trafiquants…on est loin des gros escrocs habituels qui manipulent des dizaines de milliers d’euros ». Les enquêteurs vont aussi s’attaquer à « toutes les données, les pseudos, les mails et donc les vendeurs et acheteurs ».
Le « fichier clients » de ce forum qui existait depuis 2015 contient 3 000 identifiants et plus de 200 000 messages.
Le Quotidien/AFP