Genève-Annemasse en 22 minutes, contre plus de double aujourd’hui ? Ça devrait changer la vie des frontaliers ! Au-delà de ce tronçon de 16 kilomètres, le RER va permettre d’irriguer un réseau de 45 gares, couvrant un bassin de vie transfrontalier d’un million d’habitants. Le «Léman Express» sera inauguré ce week-end.
Le tronçon entre Genève et Annemasse (appelé CEVA) est financé par la France (région Rhône-Alpes essentiellement) pour 335 millions d’euros et par les Suisses (dont 56% par la Confédération) pour 1,3 milliard d’euros. Il s’inscrit dans un projet plus global de réseau partagé, «le plus grand réseau transfrontalier d’Europe», vante le Léman Express sur son site : 230 km de rail, 45 gares.
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L’objectif est de réduire de 12% le trafic frontalier routier. Les travaux du tronçon et les aménagements des nouvelles gares ont duré huit ans du côté suisse, quatre du côté français.
Plus qu’un réseau de rail, le Léman express permet de repenser toute la mobilité sur le territoire, avec des implantations de P+R régulières, ainsi qu’une voie rapide cyclable entre Annemasse et Genève de 12 kilomètres, dont un premier tronçon de 6 kilomètres entre Annemasse et le quartier des Eaux-Vives à Genève est déjà ouvert (reportage de TV Mont-Blanc).
Notons enfin que ce RER va être doublé par la réactivation du tramway Genève-Annemasse : la ligne sera inaugurée dimanche également, et elle devrait être étendue d’ici 2022 encore.
Projet concerté
Discuter entre territoires, peu importe la frontière, plutôt qu’imposer sa politique d’aménagement depuis un pôle central : on le voit, même si le Léman express a pu connaître des difficultés, la mobilité est désormais anticipée de façon concertée avec les voisins du côté du Grand-Genève. Ce qui peut impressionner vu du Grand-Duché, où les pistes cyclables et le tram (quand il arrivera à Esch) s’arrêtent à la frontière. Et où même les projets routiers (élargissement de l’A3-A31bis, voie de covoiturage depuis Arlon) ne sont pas pensés de façon commune, avec des financements hasardeux.
Pour les frontaliers français à Genève (plus de 85 000 selon l’Office genevois des statistiques, presque 100 000 selon un journaliste spécialiste du sujet que nous avons interrogé), c’est l’aubaine de pouvoir arriver au travail plus sereinement, car la circulation est très compliquée avec les départements frontaliers. Selon les Échos, des effets positifs sont attendus du côté des communes françaises : boum de l’immobilier (avec un plan autour du Léman express), et toujours plus de ressources fiscales avec le système des compensations financières. Toutefois, comme sur le versant lorrain, des entrepreneurs savoyards craignent une fuite toujours plus forte de la main d’oeuvre qualifiée, avec des salaires très attractifs du côté suisse. Ainsi qu’un accroissement des inégalités entre résident frontalier et non-frontalier.
Hubert Gamelon
Luxembourg / Genève : la comparaison qui déroute
Avec ce nouvel exemple, la comparaison de l’effort dans un transfrontalier vertueux est assez déroutante, entre les deux territoires les plus demandeurs de main d’oeuvre frontalière d’Europe géographique. On peut la résumer ainsi, concernant le seul cas des frontaliers français pour pouvoir croiser les statistiques :
Canton de Genève (budget annuel d’environ 8 milliards d’euros) :
• Emploie 85 000 frontaliers français qui représentent environ 25% des actifs du canton, avec une hausse de +4000 frontaliers français sur la dernière année.
• Verse une compensation financière annuelle d’une moyenne de 250 millions d’euros (282 millions en 2019), pour soutenir l’investissement public dans les territoires frontaliers et les budgets des communes françaises. Il s’agit de partager les charges publiques de façon équilibrée, entre lieu de travail et de résidence, en dehors de tout projet cofinancé : une sorte de péréquation fiscale transfrontalière, dans la logique des intercommunalités en France, ou de la réforme fiscale communale de 2016 au Luxembourg (ruissellement d’argent public plus équitable sur le territoire : Esch a ainsi gagné 10 millions d’euros par an dans son budget).
• Pense l’aménagement du territoire de façon concerté avec l’institution forte qu’est le Grand Genève. Ça n’a pas toujours été le cas…
• Investit en plus dans la mobilité du côté français, principalement avec le soutien de la Confédération (budget annuel autour de 65 milliards d’euros, variable d’une année à l’autre). Dans le cadre du chamboulement du Léman express : 26 millions d’euros pour l’aménagement de la gare d’Annemasse, l’arrivée du tram et le soutien au réseau de bus à haut-niveau de service de l’agglomération.
Luxembourg (budget annuel entre 16 et 20 milliards d’euros ces dernières années) :
• Emploie 106 197 frontaliers français qui représentent environ 25 % de ses actifs, avec une hausse de + 6.934 frontaliers français sur la dernière année (2T 2018-2T 2019, Statec).
• Pas de partage des investissements publics avec les communes de résidence, pas de compensation financière : une majeure partie des communes frontalières se retrouvent ainsi plus « pauvres » que les communes de la même taille en France.
• Pas d’institution forte de concertations, mais un enchevêtrement d’instances diverses : Grande-Région, GECT, Pôle Métropolitain transfrontalier, ministère de la Famille et de l’intégration et de la grande région, pas de ministère du transfrontalier en France etc.
• A investi 12 millions d’euros sur la liaison Belval du côté français. Va investir sur le rail lorrain 120 millions d’euros (accord de Paris 2018, le plus gros des travaux restant en fait à la charges de la Région Grand-Est) pour une ligne TER Nancy-Metz-Thionville-Luxembourg qui transportera 25 000 passagers par jour d’ici 2030, alors que le Léman express vise les 50 000 passagers dès 2020.
Va investir 2,5 millions d’euros sur un parking-relais à Longwy.