Tricher sur les taux de goudrons et de nicotine grâce à de minuscules trous dans les filtres : c’est ce dont le Comité national contre le tabagisme (CNCT) accuse les quatre grands fabricants de cigarettes, visés par une plainte.
« Notre objectif, c’est qu’on en parle et que les Français comprennent quel est le comportement de cette industrie », a déclaré vendredi le professeur Yves Martinet, président du CNCT, une association de lutte contre le tabac. « Le but de cette industrie, c’est de rendre les gens accros à la nicotine, pour qu’ils reviennent acheter leur drogue. » La plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » vise les filiales françaises des quatre grands cigarettiers Philip Morris, British American Tobacco, Japan Tobacco International et Imperial Brands (dont la société française Seita est une filiale). Elle a été déposée le 18 janvier auprès du parquet de Paris, a précisé l’avocat du CNCT, Pierre Kopp.
Objet de la plainte : « l’existence de minuscules trous » dans les filtres de cigarettes destinés à « falsifier les tests » en agissant comme un « système de ventilation invisible », selon le texte. « Ce dispositif de micro-orifices dans le filtre des cigarettes empêche les autorités de savoir si les seuils de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone qu’elles ont fixés sont dépassés », fait valoir le CNCT, qui dénonce un « filtergate » (scandale des filtres).
Un paquet équivaudrait à au moins deux
Selon lui, les taux baissent artificiellement lorsque les cigarettes sont testées sur des machines car les substances dangereuses sont diluées dans l’air que laissent passer les micros-trous. Or, selon le CNCT, cette dilution n’a pas lieu quand la cigarette est fumée par un individu, car les perforations au laser sont alors bouchées par les doigts et les lèvres du fumeur. Résultat : « la teneur réelle en goudron et nicotine inhalée par les fumeurs serait entre deux et dix fois supérieure pour le goudron et cinq fois supérieure pour la nicotine », écrit le CNCT dans sa plainte. « Les fumeurs qui pensent fumer un paquet par jour en fument en fait l’équivalent de deux à dix », poursuit-il.
Sollicités, trois des cigarettiers n’avaient pas réagi en début d’après-midi, tandis que le dernier, Philip Morris, n’a pas souhaité faire de commentaires. Selon le CNCT, des procédures similaires ont été entamées aux Pays-Bas et en Suisse par des associations. L’existence de « trous de ventilation » dans les filtres à cigarettes n’est pas nouvelle. Elle date, selon le CNCT, de la fin des années 1950, époque où les États-Unis ont commencé à imposer les mesures du goudron et de la nicotine.
Moyen facile de vérifier
« Aujourd’hui, 97% des cigarettes comportent des perforations invisibles du filtre », souligne le CNCT. Pour voir ces petits trous, il suffit de déchirer le papier qui entoure le filtre et de le placer devant une source lumineuse.
À l’appui de ses dires, le CNCT cite dans sa plainte des documents écrits par les industriels, dont une plainte lancée en 1982 en Suisse par Philip Morris et deux autres sociétés contre British American Tobacco (BAT). Ce litige avait éclaté après une campagne de publicité de BAT selon laquelle sa nouvelle cigarette, Barclay, présentait des teneurs en goudrons « particulièrement basses ». « Si les indications figurant sur les emballages de la cigarette Barclay sont exactes lorsque la cigarette est testée au moyen d’une machine standardisée, ces résultats sont totalement différents lorsque la cigarette Barclay est fumée par une bouche humaine », avançaient à l’époque les entreprises plaignantes. « En effet, les lèvres du fumeur vont partiellement ou totalement recouvrir l’orifice des quatre canaux périphériques dont est muni le filtre (…) de telle manière que l’air extérieur conduit par lesdits canaux ne pénètre pas dans la bouche du fumeur », ajoutaient-elles.
La mention des taux de goudron et de nicotine ne figure plus sur la plupart des paquets depuis l’apparition des paquets neutres.
Le Quotidien/AFP