Accueil | Monde | Erdogan, le nouveau « sultan » contesté de la Turquie

Erdogan, le nouveau « sultan » contesté de la Turquie


Recep Tayyip Erdogan, ici ce dimanche à la sortie de l'isoloir, s'amuse de ceux qui le traitent de "dictateur" mais poursuit régulièrement pour "insulte" tous ceux, rivaux, journalistes ou simples particuliers, qui le contestent. (photo AFP)

Pour les uns, il est le « sauveur » de la Turquie. Pour les autres, rien moins qu’un « dictateur ». Maître sans partage mais de plus en contesté du pays depuis treize ans, le président Recep Tayyip Erdogan joue ce dimanche son avenir politique dans les urnes.

Le 7 juin dernier, son rêve d’instaurer une « superprésidence » à l’image de celle de son lointain prédécesseur s’est brisé au soir des élections législatives. Malgré son engagement personnel dans la campagne, son Parti de la justice et du développement (AKP) a perdu la majorité absolue qu’il détenait au Parlement. Qu’importe. Malgré cette claque électorale, celui que ses rivaux brocardent comme un nouveau « sultan » est reparti au combat.

Pendant des semaines, il a laissé s’enliser les discussions pour la formation d’un cabinet de coalition et, constatant leur échec, rappelé les Turcs aux urnes pour un nouveau scrutin, le quatrième en deux ans. Persuadé de pouvoir s’y « refaire ». A peine plus discret qu’en juin, il a continué à faire campagne pour le « gouvernement d’un seul parti ». « Je ne suis pas arrivé à cette place en tombant du ciel », a-t-il souligné pour rappeler qu’il avait été élu président avec 52% des voix en août 2014.

Le président turc, le 29 octobre, lors du 92e anniversaire de la République de Turquie. (photo AFP)

Le président turc, le 29 octobre, lors du 92e anniversaire de la République de Turquie. (photo AFP)

A 61 ans, M. Erdogan reste en effet le chef politique le plus populaire et le plus charismatique de son pays depuis Mustafa Kemal Atatürk, l’emblématique père de la République laïque. Arrivé à la tête du gouvernement en 2003 sur les ruines d’une grave crise financière, M. Erdogan est loué par ses partisans comme l’homme du miracle économique et des réformes qui ont libéré la majorité religieuse et conservatrice du pays du joug de l’élite laïque et des interventions politiques de l’armée.

Lire aussi : La Turquie sous haute tension à la veille des législatives

 

Mais depuis deux ans, il est aussi devenu la figure la plus critiquée de Turquie, dénoncé pour sa dérive autocratique et islamiste. L’assaut spectaculaire lancé cette semaine encore par la police sur deux chaînes de télévision proches de l’opposition n’a fait que renforcer l’inquiétude de ceux qui, comme le chef de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu, l’accusent de vouloir « rétablir le sultanat ».

Luxueux, gigantesque et extravagant, le palais de 500 millions d’euros dans lequel il a emménagé il y a un an est devenu le symbole de sa « folie des grandeurs ».

« Grand maître »

Fils d’un officier des garde-côtes, M. Erdogan se targue pourtant d’origines modestes. Élevé dans le quartier populaire de Kasimpasa à Istanbul, éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, « Tayyip » a un temps caressé le rêve d’une carrière de footballeur, avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste.

Elu maire d’Istanbul en 1994, il triomphe en 2002 lorsque son AKP remporte les législatives et devient Premier ministre un an plus tard, une fois amnistiée une peine de prison qui lui avait été infligée pour avoir récité en public un poème religieux.

Recep Tayyip Erdogan s'exprime au micro le 29 octobre à Ankara, à l'occasion du 92e anniversaire de la République de Turquie. (photo AFP)

Recep Tayyip Erdogan s’exprime au micro le 29 octobre à Ankara, à l’occasion du 92e anniversaire de la République de Turquie. (photo AFP)

Pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme libéral et islam modéré, enchaîne les succès, dopé par la croissance « chinoise » de son économie et sa volonté d’entrer dans l’Union européenne (UE). Réélu en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il se prend alors à rêver de rester au pouvoir jusqu’en 2023 pour célébrer le centenaire de la République turque.

Mais ce scénario se complique en juin 2013. Pendant trois semaines, plus de trois millions et demi de Turcs exigent sa démission dans la rue en lui reprochant sa main de fer et une politique de plus en plus ouvertement « islamiste ».

Le chef du gouvernement répond par une répression sévère mais son crédit démocratique en prend un sérieux coup. Six mois plus tard, il est rattrapé par un scandale de corruption qui fait trembler son régime sur ses bases.

A 61 ans, M. Erdogan reste en effet le chef politique le plus populaire et le plus charismatique de son pays depuis Mustafa Kemal Atatürk, l'emblématique père de la République laïque. (photo AFP)

A 61 ans, M. Erdogan reste en effet le chef politique le plus populaire et le plus charismatique de son pays depuis Mustafa Kemal Atatürk, l’emblématique père de la République laïque. (photo AFP)

Depuis l’été, sa position s’est encore affaiblie. Ses rivaux l’accusent d’avoir ravivé le conflit kurde pour ses seules ambitions. Ses discours enflammés, provocateurs et clivants inquiètent de plus en plus. Un récent sondage de l’institut Gezici a révélé qu’il était craint par 64,8% des Turcs.

Recep Tayyip Erdogan s’amuse de ceux qui le traitent de « dictateur » mais poursuit régulièrement pour « insulte » tous ceux, rivaux, journalistes ou simples particuliers, qui le contestent. Même s’il a promis cette semaine de « respecter » le verdict que rendront les urnes dimanche, certains doutent que le « grand maître », comme l’appellent ses fidèles avec déférence, accepte un jour de partager son pouvoir.

« Il fera tout pour rester le seul maître à bord », prévient l’ex-éditorialiste vedette du quotidien Milliyet, Kadri Gürsel, « même s’il doit risquer la paix, la cohésion sociale et la stabilité économique du pays pour parvenir à ses fins ».

 

AFP