Une grève de dix jours des pilotes, la plus longue depuis près de 40 ans, des pertes après cinq années de bénéfices, une dette qui explose : la compagnie aérienne portugaise TAP traverse une des zones les plus orageuses de son histoire.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire capoter la privatisation de 66% du capital du fleuron national que le gouvernement de centre droit compte boucler d’ici fin juin, après l’échec d’une première tentative en décembre 2012.
De l’aveu même du Premier ministre Pedro Passos Coelho, la grève risque de compromettre ce projet, que le gouvernement cherche à imposer contre l’avis de l’opposition socialiste, à seulement cinq mois de la fin de son mandat. « Si la privatisation n’a pas lieu, l’alternative est une restructuration, qui passera nécessairement par des licenciements collectifs et une réduction des destinations desservies », a-t-il averti mercredi, dans une menace à peine voilée à l’adresse des grévistes.
Une fois n’est pas coutume, le Premier ministre peut compter sur le soutien des Portugais en s’en prenant aux pilotes, perçus comme une élite aux revenus confortables. Rarement une grève aura été si peu populaire au Portugal. « Lorsqu’ils font grève, les pilotes ne pensent pas aux Portugais qui gagnent 500 à 600 euros par mois à laver la vaisselle ou à servir à table dans un restaurant. Ils ont besoin des touristes pour maintenir leur poste de travail », tance Joao Duque, professeur à l’Institut supérieur d’économie et de gestion à Lisbonne.
« A droite comme à gauche, tous sont contre la grève, l’image des pilotes a été écornée », renchérit Domingos Amaral, professeur d’économie à l’Université catholique de Lisbonne. Les pilotes de la TAP ont entamé le 1er mai une grève de dix jours, accusant la direction de violer un accord d’entreprise prévoyant de leur attribuer entre 10 et 20% du capital en cas de privatisation. « C’est une revendication impossible à satisfaire », a tranché jeudi le secrétaire d’État aux Transports, Sergio Monteiro.
Divisés entre eux, les pilotes n’ont pas non plus été soutenus par les autres employés de la TAP. « La concurrence ne cesse d’augmenter, nous ne pouvons pas nous permettre de trahir la confiance de nos clients », s’inquiète l’un d’entre eux, Fernando Santos, organisateur d’une marche silencieuse contre la grève.
« Au bord du gouffre »
Le gouvernement a d’ores et déjà fait les comptes, estimant que les cinq premiers jours de grève ont coûté 17 millions d’euros à la TAP, alors que la facture totale pourrait atteindre 35 millions d’euros. Même si l’impact de la grève aura été moindre que prévu, avec environ 70% des vols assurés, le secteur du tourisme s’attend à un préjudice bien supérieur, de l’ordre de 100 millions d’euros.
« La TAP ne survivra pas à dix jours de grève », d’autant que d’autres mouvements des pilotes se profilent à l’horizon, a prévenu Francisco Calheiros, président de la Confédération du Tourisme du Portugal. Même avant la grève, l’entreprise était déjà en faillite technique, assure Alvaro Costa, professeur d’économie à l’Université de Porto. « La TAP est au bord du gouffre. Les pilotes n’ont fait qu’accélérer un mouvement déjà en cours ».
A court de trésorerie et endettée à hauteur de plus d’un milliard d’euros, la compagnie a essuyé une perte nette de 46 millions d’euros en 2014, pénalisée par des retards de livraison de nouveaux avions et des grèves à répétition. Dans les conditions actuelles, « les chances de voir la TAP privatisée sont minimes », estime Alvaro Costa. Le cahier des charges approuvé par le gouvernement et les syndicats prévoit notamment que le futur repreneur ne pourra pas mettre en œuvre un plan social tant que l’État gardera une partie du capital.
Intéressé dans un premier temps, le groupe espagnol Globalia, maison mère de la compagnie aérienne Air Europa, a jeté l’éponge, estimant qu’on « ne peut pas investir puis rester pieds et poings liés ».
AFP