Antoine Deltour, l’un des lanceurs d’alerte des LuxLeaks, a rejoint le conseil d’administration de la Maison des lanceurs d’alerte. «Dans une société qui a besoin de renouvellement», il prolonge ainsi son engagement dans cette structure créée en octobre par des ONG et syndicats français dans le but d’accompagner et soutenir les lanceurs d’alerte.
En 2018, la justice luxembourgeoise accordait le statut plein et entier de lanceur d’alerte à Antoine Deltour, une première dans un pays de l’Union européenne. Cette décision mettait fin à trois ans de procédures judiciaires engagées contre l’ancien employé de PWC en raison de ses révélations sur les schémas d’optimisation fiscale conclus entre le fisc luxembourgeois et des multinationales. Les LuxLeaks, un des scandales fiscaux majeur de ces dernières années, a démontré le rôle
Pourquoi avoir rejoint le conseil d’administration de la Maison des lanceurs d’alerte?
Antoine Deltour : En ce qui concerne mon expérience, je peux dire que mon alerte s’est très bien passée grâce à la formidable mobilisation qui s’est mise en place autour de moi. Depuis, je dis et je répète mes remerciements à tout le monde, à tous ceux qui m’ont aidé. Mais cela ne suffit pas à me satisfaire, je veux offrir ce même soutien à d’autres lanceurs d’alerte. J’avais donc un intérêt personnel à rejoindre le conseil d’administration de cette structure. Je suis très content si je peux aider au mieux les lanceurs d’alerte, car c’est un enjeu très intéressant dans une société qui a besoin de renouvellement. Le lancement d’alerte redonne du pouvoir aux gens.
Quel sera votre rôle au sein de la Maison des lanceurs d’alerte?
Je ne peux pas encore le dire précisément, car nous n’en sommes vraiment qu’au début. Il y a déjà beaucoup d’échanges et de réflexions entre chaque réunion du conseil d’administration. Je peux en tout cas mettre à profit ma propre expérience de lanceur d’alerte, livrer des prises de position pour représenter la Maison des lanceurs d’alerte.
Vous n’êtes pas le seul lanceur d’alerte au conseil d’administration de la structure…
Il y a Céline Boussier qui avait lancé l’alerte sur la maltraitance des enfants polyhandicapés dans la région de Toulouse. Et il y a aussi Laura Pfeiffer, une inspectrice du travail qui avait dénoncé les pressions exercées par Tefal sur l’Inspection du travail afin d’adoucir les contrôles.
Pourquoi l’aide juridique, psychologique et financière qu’offre la Maison des lanceurs d’alerte est-elle importante?
La phase qui suit le lancement de l’alerte est difficile, car on est complètement perdu. La protection accordée par la loi française est aujourd’hui insuffisante et certains se retrouvent dans de vraies galères. Ça n’a pas été mon cas, puisque j’ai bénéficié d’un large soutien dès que l’affaire a été connue. Pour quelqu’un qui veut lancer l’alerte, le mieux est de prendre contact tout de suite avec la Maison des lanceurs d’alerte pour connaître les étapes à suivre, sinon il risque de se mettre en danger, car la loi impose une procédure précise : il faut en principe d’abord s’adresser à l’employeur, puis, si rien ne se passe, aux autorités administratives ou judiciaires. Si l’alerte n’est toujours pas traitée dans un délai de trois mois, elle peut être transmise à la société civile.
La Maison des lanceurs d’alerte se donne précisément pour mission de faire évoluer la loi française sur cette problématique. Pourquoi?
Ma position personnelle est que le parcours très précis défini par loi, exigeant d’abord de contacter l’employeur, n’est pas forcément adapté à chaque situation. Il y a alerte et alerte, cela dépend du contexte. Il faut une liberté de choix, prévoir des canaux différents. Dans mon cas, le tribunal a retenu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui permet au lanceur d’alerte d’éviter l’employeur et les autorités s’ils sont mis en cause, ce qui était bien le cas avec les LuxLeaks. Il faudrait donc en France une loi plus protectrice que la loi Sapin 2. Cela dit, le but de la Maison des lanceurs d’alerte n’est pas de faire éclater des scandales, de rendre les choses publiques si elles peuvent être améliorées. Mais il est normal d’encourager l’alerte quand le sujet est trop grave.
La Maison des lanceurs d’alerte a été constituée par des ONG et des syndicats, sans aucun concours ou participation publique. Pourquoi?
Dans les missions de plaidoyer, c’est la société civile qui agit. La Maison des lanceurs d’alerte peut aller plus loin que l’État. Par exemple, la disposition qui prévoyait un dédommagement financier pour les lanceurs d’alerte n’a pas été retenue dans la loi et le défenseur des droits (NDLR : autorité administrative indépendante chargée de défendre les droits des citoyens) a des pouvoirs limités dans ce domaine. Nous sommes donc complémentaires.
Après des années de discussions, l’Union européenne va adopter une directive sur la protection des lanceurs d’alerte. Des pays voulaient en exclure le lancement d’alerte sur les questions fiscales. Qu’en pensez-vous?
Il faut évidemment inclure ces alertes et protéger le lanceur d’alerte fiscal. C’est d’autant plus important qu’il s’agit d’une question de redistribution, nécessaire dans un système aussi inégalitaire que celui dans lequel nous vivons. C’est à cela que sert la fiscalité. Pour la directive européenne, on a échappé à pire que cela, car certains préconisaient cinq textes différents en fonction du domaine visé par l’alerte. Mais les choses avancent malgré tout et il y a maintenant un calendrier pour le trilogue (NDLR : Parlement, Commission et Conseil européens). Pour la gauche, ce texte est important, car elle prend un risque s’il n’est pas assez protecteur dans la mesure où elle avait accepté de voter en faveur de la directive sur le secret des affaires en contrepartie de la directive sur la protection des lanceurs d’alerte.
Votre engagement en faveur des lanceurs d’alerte ne s’arrête pas à la Maison des lanceurs d’alerte. Vous êtes également membre d’une autre ONG qui traite de cette question…
Il s’agit de The Signals Network Foundation, dont le champ d’action est international. Sa particularité est de travailler avec un réseau de médias. Cette fondation agit en prenant l’initiative médiatique, car elle considère que les médias subissent trop les sources, sont trop tributaires d’elles. Elle lance donc des appels à l’alerte sur certains sujets qu’elle juge importants. Le premier appel portait sur l’usage des données personnelles. La fondation accompagne ainsi le lanceur d’alerte dès le début. Ce n’est pas le même champ d’activité que la Maison des lanceurs d’alerte. L’approche est différente, mais il n’y a pas d’opposition entre les deux.
Entretien réalisé par Fabien Grasser
Le site internet de la Maison des lanceurs d’alerte : https://mlalerte.org/
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