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[Frontaliers] Codéveloppement : pas de chèque pour la Saint-Nicolas non plus


Le sujet de la compensation financière est revenu sur le tapis à l'occasion de la Saint-Nicolas, entre le Luxembourg et la Lorraine (Illustration : Tania Feller).

Après les décorations de Noël en 2018, la hotte de Saint-Nicolas en 2019. Le premier ministre Xavier Bettel a expliqué au micro de nos confrères de RTL 5minutes, samedi depuis les festivités de Nancy, qu’il n’était pas question de faire des chèques en blanc en Lorraine dans le cadre du codéveloppement.

En marge du défilé, Laurent Hénart, le maire de Nancy, et Xavier Bettel ont eu un « temps d’échange pour les projets communs », selon les mots du maire de Nancy.

Difficile de savoir ce qu’il en est ressorti. Toujours est-il que Xavier Bettel s’est offusqué au micro de RTL 5minutes, lorsque le journaliste a posé la question de l’équité fiscale, des « attaques » venant de Lorraine sur un « Luxembourg qui profite » alors que lui y voit une situation « gagnant-gagnant ».

Le premier ministre a redit sa volonté de cofinancer des projets ciblés, par exemple sur la mobilité.

Pour le reste, il a conclu son intervention en mettant ces revendications sur le compte de sautes d’humeurs à l’approche des communales françaises (mars 2020). Revendications pourtant légitimées par un récent rapport du Conseil de l’Europe.

Si l’on regarde les autres voisins de la France

Sur le fond, en dehors de la désormais traditionnelle phrase des fêtes : on cerne mal la notion d’ « attaque » à laquelle le premier ministre fait référence, lorsque l’on observe objectivement la situation.

La France a des accords bilatéraux concernant la destination des impôts sur le revenu des frontaliers avec quasiment tous ses états voisins.

La règle pour l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suisse hors canton de Genève et la Belgique (jusqu’en 2033 encore) est que le frontalier est imposé sur son revenu dans le pays où il réside. Tout simplement car c’est sur le lieu de résidence que les investissements publics sont les plus forts, alors qu’ils sont moindres (transports essentiellement) sur le lieu de travail. Avec la Suisse hors canton de Genève et l’Allemagne, il existe toutefois une règle de compensation financière inversée : c’est la France qui rétrocède une partie des impôts sur le revenu des frontaliers qui travaillent dans ces deux pays, au gouvernement voisin (environ 70 millions d’euros par an à destination de l’Allemagne par exemple).

Le canton de Genève et la principauté de Monaco font exceptions, alors que ce sont deux des destinations les plus importantes pour les frontaliers français, derrière Luxembourg (où les frontaliers français représentent un quart des actifs !) :

• Pour Monaco : il n’existe pas d’impôt sur le revenu sur le Rocher. C’est donc un standard de l’OCDE qui s’applique (plutôt calibré pour l’immigré économique que le frontalier d’ailleurs) en l’occurrence, la méthode de l’imputation : le pays de résidence taxe à hauteur de la tranche d’impôt nationale ce qu’il reste à taxer, une fois que le premier pays est passé. En l’occurrence, il reste tout à taxer chez le frontalier vers Monaco, qui paye donc ses impôts comme son voisin qui travaille à Menton par exemple.

• Pour le canton de Genève : un accord historique est en vigueur depuis 1973. Genève ayant un fort besoin de main d’oeuvre frontalière (notamment pour des questions de pression foncière, vu la taille du lac), il est prévu que l’impôt sur le revenu reste prélevé à la source du côté Suisse, mais qu’une rétrocession financière soit destinée au versant français. Cette compensation est calculée sur la masse salariale des frontaliers (Ils sont presque 100 000), dépassant la simple idée d’impôt sur le revenu, mais plutôt, de juste partage du poids des finances publiques. Cette rétrocession passe par l’état français, mais irrigue chaque année les deux départements frontaliers de l’Ain et de la Haute-Savoie, jusqu’au budget des communes frontalières. Les sommes sont importantes : elles permettent à des communes souvent privées d’un impôt sur les entreprises à la hauteur du nombre d’actifs qu’elles accueillent (mais leurs entreprises sont de l’autre côté!) de retrouver de la ressource fiscale pour mener à bien des projets variés, tant sur la mobilité que sur des investissements structurants (école, caserne de pompiers, amélioration urbaine etc.)

On le voit : il n’y a objectivement pas « d’attaque » de la part des élus lorrains qui souhaitent la mise en place d’un modèle de type genevois, mais la recherche d’un compromis (qui peut être discuté d’un point de vue économique) par rapport à l’ampleur du phénomène frontalier. Paradoxalement, des élus de l’Ain estiment d’ailleurs que le modèle genevois est en lui-même trop défavorable à la France, là où par avance, des Luxembourgeois y voient une forme d’extorsion… En réalité, le modèle genevois est effectivement le plus favorable de tous les modèles que la France a avec ses voisins concernant l’impôt des frontaliers. En dehors de la relation avec le Luxembourg, qui est une sorte de vide sur la question plutôt qu’un modèle, alors que le travail frontalier n’a jamais été autant développé entre les deux pays.

Hubert Gamelon