La réforme du licenciement économique, dispositif surprise du projet de loi sur le temps de travail, répond à une attente forte du patronat pour «lever la peur de l’embauche», mais fait peser un risque considérable pour les salariés, notamment ceux des grands groupes, selon des juristes.
Le projet de loi précise plus clairement que l’actuel Code du travail les motifs de licenciement économique, afin de clarifier «le domaine d’interprétation par le juge», selon la ministre du Travail Myriam El Khomri. Il braque déjà une partie de la gauche, laissant augurer des débats animés au Parlement lors de l’examen du texte au printemps après sa présentation le 9 mars au Conseil des ministres.
La jurisprudence actuelle laisse au juge le soin d’apprécier, au cas par cas, si les motifs économiques invoqués par l’entreprise sont véritablement une cause de licenciement.
Dans la future loi, l’article 30 bis prévoit que les difficultés économiques sont caractérisées «soit par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l’année précédente, soit par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés».
Le nombre de trimestres sera négociable par accord d’entreprise ou de branche. Faute d’accord, l’entreprise pourra justifier de quatre trimestres de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, ou d’un semestre de perte d’exploitation.
«Tous les cas de licenciement seront couverts pour permettre aux entreprises d’obtenir une flexibilité totale des effectifs sur une courte période» en fonction de leur carnet de commandes ou de leur activité, se félicite Me Sylvain Niel, avocat conseil en droit social (côté entreprises).
Ces évolutions devraient permettre de «corriger les effets d’une jurisprudence irréaliste», commente le syndicat d’avocats d’entreprises AvoSial. Mais pour Judith Krivine, avocate chez Dellien (côté salariés), «c’est une catastrophe pour les salariés, une façon d’augmenter considérablement les licenciements pour motif économique».
«Il s’agirait d’une remise en cause profonde du juge, qui serait privé de son rôle d’appréciation souveraine de la réalité des difficultés économiques. Les entreprises pourraient imposer une présentation +faciale+ de difficultés économiques, même quand elles vont très bien», redoute pour sa part l’avocat Etienne Colin.
«Licenciements à bas coûts»
Me Déborah David, avocate chez Jeantet (côté entreprise), salue au contraire la volonté d’«éviter que le juge s’immisce dans la gestion de l’entreprise».
Elle regrette toutefois que l’article soit «quelque peu maladroit» et «nécessite d’être clarifié sur le niveau des baisses de commandes, chiffre d’affaires ou perte d’exploitation pour éviter les abus et être moins sujet à controverse lors de son examen à l’Assemblée nationale». En effet, en l’état, des entreprises pourraient justifier des licenciements par des baisses de commandes ou de chiffre d’affaires de seulement 0,1%, par exemple, selon la juriste.
Selon plusieurs experts, la mesure favoriserait davantage les grands groupes que les petites entreprises, contrairement à la volonté affichée du gouvernement. Jusqu’à présent, une entreprise française appartenant à un groupe doit démontrer les difficultés économiques au niveau de l’ensemble du groupe, notamment à l’international. Avec ce texte, le champ se limiterait aux sociétés du groupe située sur le sol français, ce qui va «permettre de protéger les grands groupes qui souhaitent licencier», selon Me Krivine.
Pour Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail, «il suffira à un groupe d’organiser au niveau national un léger déficit de son établissement français. Rien ne sera alors plus facile pour lui que de se mettre dans les cases du législateur et licencier, voire fermer son établissement».
En revanche, la nouvelle écriture du Code du travail «sera beaucoup moins utile» pour les petites entreprises, affirme-t-il. La mise en place d’un plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, à la demande du patronat malgré la vive opposition des syndicats, vient compléter la facilitation des licenciements, destinée, selon le gouvernement, à «lever la peur de l’embauche».
Pour le Pr Dockès, les deux dispositifs «ouvrent la porte aux licenciements dépourvus de justification réelle et à bas coût».
AFP