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Un Terrence Malick lyrique avec Knight of Cups


Knight of Cups suit les déambulations de Rick (Christian Bale), de fêtes hollywoodiennes avec champagne, starlettes et piscines en shootings de mode, des rues de Los Angeles aux longues plages californiennes, d'appartements luxueux à une retraite dans le désert où il tente de se ressourcer.

Six mois avant les États-Unis, Knight of Cups, de Terrence Malick, arrive au Luxembourg. Les états d’âme d’un «esclave de Hollywood» pour un cinéma défragmenté et expérimental.

Présenté à la dernière Berlinale, Knight of Cups se présente commeun long poème filmé, esthétique et souvent abstrait. Et c’est un attrayantcasting hollywoodien –Christian Bale, Natalie Portman et Cate Blanchett– qui se penche sur les dangers de la célébrité.

Un jour, sa compagne Nancy lui glisse : «Tu as changé. Qu’est-ce qui t’arrive?» Un autre, une tendre amie, Elizabeth, qui, à l’occasion le réconforte, lui murmure : «Tu as de l’amour en toi. Je le sais.» Rick est scénariste, bosse à Hollywood et s’apprête à signer un gros contrat. On lui dit : «Je veux vous rendre riche. Vous voyez les palmiers? Ils vous disent que tout est possible…» Et voici donc en salles – bien longtemps avant les États-Unis où on l’annonce pour mars 2016 – un des films les plus attendus de l’année : Knight of Cups, huitième long métrage de l’Américain Terrence Malick. Un film présenté en février dernier à la Berlinale 2015, où il fut nommé dans pas moins de huit catégories…

Si Pedro Almodovar avait filmé en 1988 des femmes au bord de la crise de nerfs, Terrence Malick a mis en images les déboires d’un scénariste en crise. Et pour cette histoire, il a donc retenu pour titre Knight of Cups, en référence au jeu de tarot et à cette carte représentant le chevalier de coupes : Dans la signification des cartes, ce chevalier sur un cheval gris idéalise l’amour, est attentionné, calme et doux, sensible aux besoins des autres, apprécie l’harmonie et tente d’éviter à tout prix les conflits. Enfin, il peut devenir amoureux sur un coup de tête.

Rick, en lointain héritier du fameux chevalier de coupes, vit à Santa Monica, Californie. Enfant, il avait grand plaisir à écouter son père lui lire l’histoire d’un «jeune prince que son père, le souverain du royaume d’Orient, avait envoyé en Égypte afin qu’il y trouve une perle. Lorsque le prince arriva, le peuple lui offrit une coupe pour étancher sa soif. En buvant, le prince oublia qu’il était fils de roi, il oublia sa quête et sombra dans un profond sommeil.»

«Une quête de quelque chose de beau»

Adulte, il est maintenant auteur de comédies, aspire à une autre vie sans trop savoir quoi. Où aller? Que faire de son existence? Là, il est arrivé à un chapitre de sa vie décisif, d’autant que, lui, l’auteur de comédies est un «esclave du système hollywoodien». Oui, son quotidien, c’est la célébrité, les tentations et les excès, les plus grandes soirées de la jet-set hollywoodienne. Va-t-il signer ce contrat qui fera de lui un homme encore plus riche qu’il n’est? C’est au moment où il se pose cette question fondamentale que son couple avec Nancy se fissure, qu’il est hanté par la mort de son frère Billy, qu’il tente (en vain) d’aider son autre frère, Barry, désemparé. C’est aussi dans cette période qu’il cherche (le trouve-t-il?) du réconfort dans les bras d’autres femmes qui vont lui faire comprendre qu’elles le connaissent mieux qu’il ne se connaît lui-même.

En plus de quarante ans, Terrence Malick n’a signé que huit films. Mais tous avec une portée, une dimension philosophique. Et à 71 ans, il ne change rien. Ainsi, son nouveau film – construit en plusieurs parties, titrées du nom d’une carte de tarot «La Lune», «Le Frère», «L’Ermite», «La Tour» – ne manque pas de rappeler les contes philosophiques du Siècle des lumières, comme par exemple Zadig ou la Destinée de Voltaire ou Nathan le Sage de l’Allemand Gotthold Ephraim Lessing.

Et l’affiche de Knight of Cups pourrait bien en être la confirmation, avec sa référence aux courtes histoires à visée spirituelle se déroulant au Moyen Orient, symbole ultime des trois religions monothéistes et du monde occidental. « C’est l’histoire d’un homme dont les rêves et les désirs ont été satisfaits, mais qui éprouve un grand vide intérieur , précise Christian Bale. Il commence un voyage, une quête pour autre chose, mais il ne sait pas exactement quoi. »

« C’est une histoire très universelle » car « cette idée d’une recherche de satisfaction, c’est quelque chose qui concerne tout le monde ». Une fois encore, Terrence Malick (dé)montre qu’avec lui, ce qui est important, ce n’est surtout pas le «story telling» mais l’impression et les émotions extra-visuelles éprouvées par le spectateur. Un style défragmenté et expérimental délibérément revendiqué. Ainsi, le film s’appuie sur une succession d’images et de plans souvent très beaux, accompagnés d’une musique enveloppante et répétitive, dans une narration non linéaire.

Alternant les images de la vie de Rick et celles de la nature, pour mieux en souligner le contraste, le film est aussi accompagné, comme d’habitude chez Terrence Malick, par une voix off omniprésente, traduisant les pensées du héros ou des femmes qu’il rencontre, ou citant la Bible . Dans le même sens, les acteurs étaient assez libres, le réalisateur leur laissant une très large part à l’improvisation. « Nous avions parfois 30 pages par jour de suggestions pour le dialogue, dans lesquelles nous pouvions choisir », a raconté de son côté Natalie Portman, « fan » de Terrence Malick. « Chaque jour était une quête de quelque chose de beau .»

Serge Bressan

Knight of Cups, de Terrence Malick.