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Petits plats sur grand écran


L'image d’Alberto Sordi (dans Un Americano a Roma) s’empiffrant de spaghettis, drôlatique et mythique, s'avère plus célèbre que le film lui-même. (Photo : dr)

En projetant des films comme Babette’s Feast, Chocolat ou, samedi, The Lunchbox, la Cinémathèque poursuit son cycle «Culinaria» sur le thème de la cuisine dans le cinéma. L’occasion de s’en mettre plein les yeux et d’avoir l’eau à la bouche.

Passer en revue tous les films où il est question de cuisine, voilà une tâche impossible. Manger est une activité vitale, l’autre activité étant celle de dormir. Or, filmer un personnage les yeux clos et ronflotant présente une limite – en fait, le risque d’endormir le spectateur. Mais manger, non. Qui plus est, un acteur qui mange est, par nature, cinégénique. Prenons le cas d’Alberto Sordi, la bouche pleine de spaghettis dans Un Americano a Roma (Steno, 1954) : l’image, drôlatique et mythique, s’avère plus célèbre que le film lui-même.

Des spaghetti, ah, oui, on en a vu, dans tous les recoins du cadre, jusqu’à même, un an après Sordi, ce que les longues pâtes incarnent un lien d’amour, dans le classique Disney The Lady and the Tramp (Hamilton Luske, Clyde Geronimi et Wilfred Jackson, 1955). Et là, l’image n’est pas plus connue que le film, sauf que, lorsque l’on pense au film, eh bien, on pense à cette image. Les spaghettis font office de métonymie, en représentant un pays : l’Italie. Le nom du western à la sauce italienne? Le western-spaghetti. Alors que le film se sert de la cuisine en tant que symbole de la société de consommation et de ses excès, il n’est pas très étonnant que La Grande Bouffe (1973) soit l’œuvre d’un Italien, Marco Ferreri.

Mais il n’y a bien sûr pas que l’Italie. Plus qu’un pays d’ailleurs est concerné par le sujet : un continent entier. L’Asie. Nombre de films de Yasujiro Ozu comportent des scènes qui excitent les papilles, mais question cuisine, au Japon comme en Chine ou à Singapour, les titres sont explicites, citons The Chinese Feast (Tsui Hark, 1995), Ramen Teh (Eric Khoo, 2018) ou Sweet Bean (Naomi Kawase, 2015). Et pourquoi cette déferlante de drague gustative? Parce que, si filmer un acteur à table est cinégénique, la nourriture elle-même l’est, il s’agit d’un fascinant objet esthétique : des épices multicolores aux desserts «qui donnent envie», c’est bien l’œil qui est, initialement, convoqué.

Des aliments pour héros

Au cinéma, l’alimentation peut aussi se retrouver hors-champ. Ainsi, elle peut se loger dans un dialogue, à l’instar de celui sur les hamburgers dans Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994). Ou mieux encore : un plat (ou un aliment) peut inspirer un aphorisme, par exemple – désolé de revenir aux pâtes –, «Le lundi, c’est ravioli » dans La Vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatiliez, 1988). Et puis certains films ne passent pas par quatre chemins pour aller à la cuisine. Et ce, en portant des noms de plats, de Poulet aux prunes (Marjane Satrapi, 2011) à Fish and Chips (Damien O’Donnell, 1999), en passant par le délicieux Ratatouille (Brad Bird, 2007).

Si filmer un acteur à table est cinégénique, la nourriture elle-même est un fascinant objet esthétique

Aussi, la cuisine peut être un «personnage» de l’histoire – au sens figuré, disons un élément perturbateur, si le but est d’empoisonner : c’est le cas (spoiler) de l’omelette aux champignons, que Vicky Krieps sert à Daniel Day-Lewis dans Phantom Thread (Paul Thomas Anderson, 2017), ou encore des surprises qu’un grand chef respecté prépare pour ses convives dans la comédie noire The Menu (Mark Mylod, 2022). Pour un versant plus agréable, 9 ½ Weeks (Adryan Lyne, 1986) : là, Kim Basinger et Mickey Rourke pratiquent la sitophilie, soit l’art de jouer, sexuellement, avec la nourriture – une scène culte parodiée plus tard dans Hot Shots! (Jim Abrahams, 1991). Et les aliments d’être encore des personnages «en chair et en os», bien qu’en animation, dans Sausage Party (Conrad Vernon et Greg Tiernan, 2016).

La cuisine, enfin, peut être le sujet même, via le métier du héros. Ainsi des films racontent l’ascension d’un cuistot, de Chef (Jon Favreau, 2014) à Comme un chef (Daniel Cohen, 2012), car le rôle du cinéma, c’est aussi d’aller là où personne ne va, et, pour le spectateur, la possibilité de voir l’envers du décor, les coulisses – en fait, comme on dit, «la cuisine». Jusqu’à ce qu’apparaisse à l’écran le mot «faim».

De notre correspondant Rosario Ligammari

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