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[Musique] Hannah Ida, mélancolie planante


À travers son folk rêveur, Hannah Ida concilie l’épure acoustique et l’apesanteur synthétique. La Viennoise d’adoption revient ce dimanche sur sa terre natale, avec un concert aux Rotondes en première partie de Bartleby Delicate. Rencontre.

Entre collage pop, psychédélisme folk et rétro, la pochette de Bird of Passage est à votre image. Mais vous, comment définiriez-vous votre musique ?

Hannah Ida : Dreamy-indie-folk-pop, c’est le nom que je donne au genre que je fais. Ma musique est très inspirée par le folk de Scandinavie. L’atmosphère est plutôt calme, il y a des influences du folk, mais aussi de la pop. Cela dit, je n’ai pas envie de rester coincée dans un style, alors j’incorpore des éléments du jazz ou de la musique minimale. Quand on a commencé avec Florian van Kooy, mon acolyte, on ne savait pas trop où aller; nous faisions de la pop classique. On s’est ensuite éloignés du son mainstream, pour se rapprocher de ce que je jouais en live.

Dans vos chansons, il y a de la guitare mais aussi du synthétiseur, ce qui vous place dans la filiation du folk électronique, à l’instar des disques de Grandaddy, du Trans de Neil Young (1983) ou encore du Digital Ash in a Digital Urn de Bright Eyes (2005).

Ces sonorités sont dues à ma curiosité. Au début, j’étais avec ma guitare classique; je faisais de la musique en tant que singer-songwriter. Puis j’ai trouvé un petit synthétiseur, avec lequel je pouvais faire un accord et chanter sur ce seul accord. De fil en aiguille, je me suis procuré un omnichord ou encore un pocket piano, des instruments un peu étranges, qui m’ont ouvert le champ des possibles en termes de création.

Vous êtes originaire du Luxembourg, vous vivez à Vienne et un morceau comme White Bird a été écrit après un voyage en voilier en Scandinavie. Êtes-vous inspirée par l’ailleurs ?

C’est intéressant, parce qu’en réalité, je n’aime pas trop voyager. Je suis heureuse quand je me trouve dans un endroit que j’aime. Et là, à vrai dire, je suis heureuse d’être à Vienne, j’ai ce qu’il me faut. Mais je crois que l’on peut voyager autrement, lorsque l’on prend le métro, par exemple : moi, j’aime y observer les inconnus, je peux deviner leurs petits problèmes, j’imagine leur vie. Il s’agit d’un voyage dans l’imagination et dans l’espace.

Beaucoup de géants de la musique classique, comme Schubert, Mahler, Schönberg ou Mozart, viennent d’Autriche : le pays est-il, selon vous, imprégné par ses fantômes ?

Vienne, en tout cas, est emplie de culture. Et ce qui est positif, c’est que cette culture reste accessible à tout le monde. En tant qu’étudiante, je peux aller à un concert en ne déboursant pas plus de huit euros. En revanche, si l’on compare avec le Luxembourg, où il y a un gros focus sur la scène nationale, il est sans doute plus difficile à Vienne de s’intégrer dans une communauté d’artistes ou d’y faire des live.

Il y a tant de beauté dans la mélancolie

J’ai l’opportunité d’être sur une scène, on m’écoute. Alors autant parler…

Vous êtes influencée par Laura Marling ou Alice Phoebe Lou, et il est vrai que le folk compte un grand nombre de chanteuses, de Joan Baez à Vashti Bunyan en passant par Joni Mitchell. Comment analysez-vous votre statut de femme dans la musique ?

Pour ma part, le fait d’être une femme ne change pas grand-chose. Mais en ce moment, je cherche des musiciens pour jouer avec moi et, justement, il me paraît important qu’il y ait des femmes dans mon groupe; je ne veux pas être la seule. Et c’est une tâche difficile de trouver, par exemple, une batteuse. Et il en va de même pour les bassistes; elles ne courent pas les rues. Il faut créer des espaces avec des femmes. Alice Phoebe Lou est très féministe dans ses textes, mais aussi à travers les mots qu’elle adresse à son public. Et moi, quand j’étais une jeune fille, je dois dire que ces mots m’ont aidée à m’exprimer.

East of Eden, un titre qui traite des millennials, parle notamment de l’hétéronormativité. Pensez-vous que la génération Z soit à l’origine d’une nouvelle révolution sexuelle ?

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une nouvelle révolution sexuelle. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a un grand changement, aujourd’hui, dans la façon d’aborder certains sujets. À Vienne, et là encore, c’est différent du Luxembourg, les jeunes peuvent s’exprimer à propos de leur identité sexuelle et, par extension, d’autres encore osent prendre la parole à leur tour.

Aimez-vous le folk aussi pour ses protest songs ?

Je pense, rétrospectivement, qu’il a été plus facile pour moi de parler des injustices sociales, des problèmes du monde ou de politique que de mes soucis personnels et de mes sentiments. Et je crois qu’il est important de s’emparer de la musique, et de l’art même en général, pour aborder des thèmes qui nous sont chers. L’art constitue un moyen de créer un dialogue entre les individus et, de façon plus étroite encore, entre mon public et moi. Comme j’ai l’opportunité d’être sur une scène, on m’écoute. Alors autant parler…

Un morceau comme Mars Man Dance contient un message écologique…

Je me sens un peu étrange dans le rôle de l’écolo. Tout le monde sait qu’il y a un problème avec la crise climatique ou avec la manière dont on produit nos aliments, mais il n’y a pas vraiment grand-chose qui est fait sur le plan politique. Je suis, avant tout, une citoyenne qui souhaite arriver à une justice sociale, donc à une justice écologique.

Un autre morceau s’intitule J’aime. C’est quoi la chanson d’amour folk idéale ? 

Un morceau doit être honnête. Dans la pop, on entend trop souvent « oh my God, love is so beautiful », alors que le folk est très fort lorsque les chansons traitent de la douleur, de façon frontale. Le folk est connu pour ses chansons tristes. Il s’agit de prendre la tristesse pour la transformer en beauté. Car il y a tant de beauté dans la mélancolie.

Victor Hugo a écrit : « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste »…

C’est juste. Je pense qu’on a tous besoin d’être triste. Moi, si j’ai besoin d’être triste, je peux écouter de la musique folk. C’est dur d’être triste dans notre société. Si je suis seule dans ma chambre et que j’écoute une chanson qui me touche, c’est là que je peux évacuer ma tristesse.

Est-ce que le folk n’est pas aussi un moyen, pour paraphraser Bob Dylan, de rester « forever young » ?

Ah, je me sens toujours très jeune. Le folk, c’est un moyen de conserver ses sentiments. Si je réécoute des morceaux que j’ai écrits au tout début, je peux voir et entendre tout ce qui a changé : ma voix, mon chant, mes compositions, mon écriture. J’étais une adolescente, maintenant je suis une jeune femme. Et, bien sûr, je me demande ce que je penserai de ce que j’ai fait dans dix ans. La musique est une belle manière de se souvenir de soi.

Dimanche à 20 h 30.
Avec Bartleby Delicate & De Bouf (DJ set)

Dans le cadre du festival «Congés annulés»
Rotondes – Luxembourg.
Dès samedi et jusqu’au 21 août.

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