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«Maria» : retour sur un tournage traumatique


La carrière de l’actrice, jouée par Anamaria Vartolomei, fut à la fois lancée et brisée par la scène de sodomie non consentie du "Dernier Tango à Paris". (photo Haut et Court)

La réalisatrice Jessica Palud redonne vie à l’actrice Maria Schneider, jeune star du Dernier Tango à Paris de 1972. Et raconte le tournage qui la brisa.

Revoir avec les yeux de 2024 le tournage traumatisant du Dernier Tango à Paris, sorti en 1972 : présenté au dernier festival de Cannes, Maria montre comment ce film et sa fameuse scène de viol ont détruit l’actrice Maria Schneider qui, bien avant #MeToo, dénonçait le sort réservé aux actrices.

Au moment où l’encadrement des conditions de tournage, des scènes d’intimité et des acteurs mineurs est devenu une priorité, la réalisatrice Jessica Palud emmène alors le spectateur au début des années 1970, quand les réalisateurs étaient tout-puissants et le consentement des actrices absolument pas un sujet.

«Ce qui m’a touchée, c’est cette femme dans les années 1970 qui disait les choses et personne ne semblait entendre sa parole, alors que ses phrases étaient finalement des phrases de 2024», souligne Jessica Palud. «Il y a quelque chose de très moderne dans ce que Maria Schneider disait.» L’actrice fut choisie à l’âge de 19 ans pour jouer aux côtés de Marlon Brando, sous la direction de Bernardo Bertolucci. Le sujet du film : la passion torride entre un veuf américain de passage à Paris et une jeune femme, qui ne savent rien de l’autre, même pas leurs prénoms.

«La rage et l’humiliation»

Ce huis clos atteint son paroxysme dans une scène de sodomie non consentie, avec une tablette de beurre en guise de lubrifiant. Cette scène de viol, qui a valu notamment au film, classé X, les foudres du Vatican, est devenue mythique avant de devenir un symbole des violences sexuelles dans le 7e art. «À tous ceux qui ont aimé le film, vous êtes en train de regarder une jeune fille de 19 ans en train d’être violée par un homme de 48 ans. Le réalisateur a planifié l’agression. Ça me rend malade», réagissait sur X l’actrice Jessica Chastain fin 2016, alors que Bernardo Bertolucci était revenu sur les conditions du tournage.

 

Bien que simulée, la scène fut imposée à l’actrice encore mineure et la brisera. Elle n’hésitera pas pourtant à en parler, évoquant un double viol, de la part de Marlon Brando et du réalisateur, à dire que les larmes à l’écran sont les siennes. Des propos qui ne choquent alors personne, pas plus que ceux de Bernardo Bertolucci, affirmant pour ambition que son actrice transparaisse «la rage et l’humiliation». Pour les besoins du film, Jessica Palud a récupéré le scénario original du Dernier Tango à Paris et a constaté que la fameuse scène n’était pas écrite. Encore plus glaçant, elle a pu y lire les annotations ajoutées en direct.

«On voit aussi une équipe de tournage qui ne réagit pas, ça ne peut pas se passer comme ça aujourd’hui», souligne celle qui a débuté comme assistante réalisatrice à 19 ans pour… The Dreamers de Bernardo Bertolucci. «Bien évidemment qu’un réalisateur veut l’accident, les plus belles vérités possibles, mais on peut le vivre sans trahir, en étant complices, en étant ensemble, en allant chercher les émotions ensemble», dit-elle.

Un monde «d’hommes»

Pour jouer cette histoire, elle a enrôlé Anamaria Vartolomei, découverte dans L’Événement, film choc sur l’avortement. Confirmant sa capacité à jouer des femmes se débattant contre ce que la société leur impose ou leur interdit. Avec ce film, j’ai «envie de toucher d’autres jeunes femmes. J’ai envie que les actrices et aussi les jeunes acteurs le voient». Et peut-être par là-même qu’ils (re)découvrent Maria Schneider.

«Les producteurs, les techniciens, les metteurs en scène et les agents sont des hommes et j’ai l’impression qu’ils ont des sujets pour les hommes», disait Maria Schneider dans le documentaire Sois belle et tais-toi, de Delphine Seyrig, tourné en 1976. L’actrice, décédée en 2011, déplorait au passage de se voir uniquement proposer «des rôles de folle, de lesbienne, meurtrière», et espérait tourner avec des hommes de son âge. «Même Jack Nicholson (dans Profession reporter d’Antonioni, 1975) c’est mieux que Brando, mais c’est pas ça : il a quarante ans presque.» Un constat qu’elle faisait, lasse, à 23 ans.

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