Aujourd’hui, le Casino fait sa rentrée avec deux expositions : celle acidulée et barrée de Rachel Maclean, et l’autre, branchée musique, d’Élodie Lesourd. Cette dernière remplace au pied levé Deborah de Robertis, qui n’exposera pas au Casino. Elle a d’ailleurs prévu de saisir la justice pour «censure».
Dans un univers saturé d’images, de couleurs et de personnages grotesques, l’artiste écossaise Rachel Maclean se moque de la culture populaire, passe les contes au broyeur et en met plein les yeux.
Puisant dans les classiques littéraires et cinématographiques comme sur internet, elle développe un monde étrange, fait d’êtres sales et hybrides,dont les propos tournent autour des notions d’identité et de classe sociale.Mieux : c’est elle-même qui se met en scène sur toutes les vidéos. Un «ego trip» du plus bel effet.
Malgré les arcs-en-ciel qui jalonnent son œuvre, les couleurs qui explosent comme un bonbon acidulé en bouche, des musiques enfantines lancinantes (Libérez!!!) et une passion pour les contes comme Le Magicien d’Oz , pas sûr qu’on puisse lui confier nos gamins… L’artiste Rachel Maclean, au rocailleux accent écossais, concocte en effet un univers tout particulier, fait d’êtres hybrides, caricaturaux, voire bâtards, aux yeux géants comme ceux des mangas et aux dents dégueulasses.
Quand sur l’unique triptyque présenté au Casino (le reste n’est que de la vidéo), elle représente en fond le château rose de Disneyland, rêve de toutes les petites filles, les princesses, siliconées, prennent des postures outrageuses et défèquent une sorte de barbe à papa. Autant de reines pop, fruits du marketing et de l’emballement du net comme de la télévision, qui auraient fait fuir n’importe quel prince normalement constitué. On l’imagine d’ailleurs galoper au loin sur son fidèle destrier, gardant son baiser pour le crapaud.
Télétubbies sous ecstasy
Pour rester dans la fable, Rachel Maclean est à voir comme une sorcière – elle laisse toutefois le nez crochu à ses personnages – devant un énorme chaudron, garni d’ingrédients disparates : la BO de La Reine des neiges , les fables de Mark Twain, la «trash TV» et ses dignes représentantes, la publicité, l’histoire de l’art, le cinéma et la littérature, sans oublier la tonne d’immondices que l’on trouve sur le net et Youtube, apportant une touche épicée à l’ensemble. Le résultat? Des collages bariolés qui explosent la rétine et effrayent un peu, avec des créatures extravagantes plus ou moins dénudées. Le public est ainsi plongé dans des mondes oniriques, où les Télétubbies auraient découverts les joies de l’ecstasy (si ce n’est pas déjà le cas).
Mieux encore : Rachel Maclean ne s’est pas embêtée pour le casting. De la conception à la réalisation finale, c’est en effet elle qui assume tous les rôles, sur scène comme en coulisse. Elle joue, bien sûr (et avec brio!), elle confectionne les costumes, écrit les scénarios et, grâce au blue screen, reconstitue tout cela après sur ordinateur. L’effet est payant : une grosse vague pop aux accents sociaux.
Grégory Cimatti
Rachel Maclean – «Ok, you’ve had your fun». Élodie Lesourd – «The oracular illusion». Casino – Luxembourg. Jusqu’au 3 janvier.
Élodie Lesourd, invitée de dernière minute
À la suite de l’annulation de l’exposition de Deborah de Robertis, le Casino a invité Élodie Lesourd pour cette rentrée. Une exposition « record », explique-t-on au musée, sachant qu’elle a été « mise en place en trois mois ».
« On discute ensemble depuis un petit moment , précise Kevin Muhlen. J’avais dans l’idée de l’exposer en 2017/18 ». Mais au vu de l’urgence de la situation, l’artiste française a répondu présent « à ce véritable challenge ». Preuve supplémentaire du court délai, une de ses dernières productions picturales date de la semaine dernière… Pour les plus sagaces, on avait déjà pu voir une petite partie de son travail lors de l’exposition collective «Altars of madness». Rien d’étonnant, donc, d’apprendre que son travail s’articule autour de la musique, et plus particulièrement le black metal (en dehors de ses orientations «grunge» pour Kurt Cobain et Nirvana), « le point de départ » de toutes ses pièces, qui lui permet toutefois de s’ouvrir à d’autres thématiques comme « la philosophie, la sociologie, l’histoire de l’art »… Sur un «wall drawing» comme une partition (ou tablature), inspiré de Sol Lewitt, on découvre ses œuvres comme autant de notes, avant de se transformer en une nouvelle référence, à Frank Stella cette fois-ci.
Un « fil rouge » qui sert de base à un travail « ultra-référencé », avec une forte propension à utiliser la peinture, Élodie Lesourd manipule des symboles et codes de la culture rock : dans des abstactions géométriques, elle se joue des logos de groupes norvégiens qui deviennent des pentagrammes, réinterprète des pochettes d’albums de façon épurée, transforme des t-shirts en sculpture et assemble des médiators en forme d’étendards.
Dans cette idée de réappropriation basée « sur la copie, le double, la répétition », l’artiste propose une série intitulée «hyperrockalisme», reproduisant de facture hyperréaliste des photographies d’installations (« éphémères ») d’autres artistes, pour les retranscrire sur la toile – qui, elle, « traverse les époques » – et en faire de nouvelles œuvres à main levée « qui suggèrent une autre narration ». Guitares et autres batteries se révèlent ainsi sur des tableaux sombres ou colorés. Dans un autre genre, une installation («Sign»), dans l’esprit Do it Yourself, segmente une pièce d’imposantes lanières en cuir. En guise de cerise sur le gâteau, l’exposition «The oracular illusion» glisse, ici et là, quelques surprises : des « œuvres fantômes », musicales comme visuelles. Au public de les saisir et les comprendre.
G. C.