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La Kulturfabrik fait sa crise de la quarantaine


(Photo : editpress)

Durant un mois, le centre culturel d’Esch-sur-Alzette célèbre ses quarante années d’activité (et plus), qu’il étale tous azimuts. L’occasion de se replonger dans le passé pour mieux aborder un avenir qu’il voit en grand.

La Kulturfabrik, de par son ADN humaniste et militant, ne fait jamais les choses comme les autres au pays. Énième pied de nez aux conventions : l’anniversaire hybride d’un quadragénaire qui, lui-même, a bien du mal à situer sa naissance. Certains placent ainsi le curseur en 1981, année durant laquelle Ed Maroldt et le Theater GmbH investissaient l’entrepôt frigorifique de l’ancien abattoir public pour y donner des représentations. D’autres l’année suivante, quand le squat s’enracinait, ou deux ans plus tard, lorsque l’ASBL voyait le jour. Et encore, rigole René Penning, son directeur, «il y a eu des lenteurs et des problèmes pour l’enregistrer». Bref, sur place, personne n’est vraiment sûr de la date. Une confusion qui, selon lui, «correspond bien à l’esprit» d’un endroit qui, au fil des décennies, a su garder son sens de la facétie. Et tant pis pour le pâtissier qui aura des sueurs froides en comptant les bougies. 40+1, oui, c’est bizarre. Sur place, on lui répondra que le plus important, c’est qu’il y ait un gâteau en dessous.

Celui-ci sera à l’image du centre culturel, généreux, avec un menu copieux qui s’étale sur un mois où tout le savoir-faire local s’étale : concert, spectacle, cinéma, littérature, ateliers, installations, jeux… Une célébration (où même le karaoké va résonner) qui répond à une autre, intime et sans cotillons, donnée en 2021 en pleine crise sanitaire, sans que le cœur n’y soit vraiment : «On avait du mal à mettre sur pied la programmation, on a connu un décès dans l’équipe… C’était compliqué», poursuit sans en rajouter celui qui, entré à la KuFa en 1998, en a pris les rênes à la suite du départ anticipé de Serge Basso en 2020. De quoi en savoir beaucoup et en dire long sur un lieu «qu’il n’arrive plus à quitter», et qui cultive sa différence, selon lui, grâce à un ancrage résolument «citoyen». Il défend ainsi une «institution à l’indépendance idéologique», principe que l’on retrouvera dans son discours d’inauguration la semaine prochaine, juste à côté d’une «volonté politique» portée par des Erna Hennicot-Schoepges et autres Guy Dockendorf, sans quoi «on n’existerait plus».

Mais derrière le symbole récréatif, un anniversaire, c’est également une bonne façon de faire le bilan, entre passé fondateur et futur en pointillé. À ce propos, tous les événements imaginés à cette occasion reposent sur de longues recherches dans les archives et un élan participatif, pilier d’un espace où «l’art et la culture sont les moteurs de liens sociaux», explique René Penning. Dans ce sens, outre le livre de Mohamed Hamdi, basé sur de nombreuses interviews de ceux qui font et ont fait le lieu (sortie prévue en 2025), le plus bel exemple est l’initiative de La Bande Passante, compagnie messine de théâtre d’objets qui se plaît à réinventer la notion de création documentaire. Depuis plusieurs semaines, son équipe s’est attelée à dépoussiérer les archives amassées dans le petit grenier de la Kulturfabrik. Près de 6 000 pièces référencées (affiches, plans, publications…) pour 850 retenues, avec lesquelles elle concocte, avec l’aide active du public, une jolie installation visuelle, sonore et immersive, invitant à une traversée chronologique et poétique de leur hôte façon livre «pop-up».

Ici, on voit la culture qui se fabrique

Au fil de l’avancée, on redécouvre les grandes dates constitutives, de l’abattoir au squat en passant par la rénovation de 1998, avec certaines spécialités devenues la signature artistique de la maison (flamenco, clowns, graffitis…) et même un long article consacré par Charlie Hebdo en 2016. Ce qui fait dire à Tommy Laszlo, l’un des membres de La Bande Passante : «Ici, on voit la culture qui se fabrique, sans obligation de résultat, dans une grande liberté.» Au bout de la dernière table d’exposition, on trouve même l’image en relief d’une KuFa fantasmée, ou plutôt de ce qu’elle pourrait être dans les années à venir. Justement, une rénovation est d’ores et déjà dans la boîte (son démarrage est annoncé pour 2026-2027), basée sur un plan de développement qui cherche à combler certaines carences : un manque de place (pour les stocks) et d’outils professionnels, afin de répondre à une volonté de proposer plus de résidences et d’espaces de recherche. Sans oublier la nécessité de se conformer aux nouvelles normes (énergétiques, acoustiques, inclusives) et de s’ouvrir sur la Metzeschmelz, le «quartier du futur» d’Esch-sur-Alzette.

Autant dire que les vingt prochaines années de la Kulturfabrik sont déjà bien remplies, et à ceux, critiques, qui voient dans ces changements à venir une trahison de son esprit alternatif, on leur rappellera que ce ne sera pas là sa première transformation, ni probablement sa dernière. Surtout que la philosophie, elle, n’a pas bougé d’un iota, confirmant une appétence pour la fluctuation : «Se réinventer, encore et encore.» Qu’on se le dise, la KuFa a la peau dure : elle est passée par trois années culturelles (1995, 2007, 2022), a vu sa ville grandir, changer, et par là même, diverses institutions culturelles y pousser. Et a su répondre qu’elle y avait sa place, plus «incontournable» qu’un énième immeuble ou supermarché. D’ailleurs, la soirée de lancement de l’anniversaire enregistre des records de prévente. Une nouvelle preuve pour René Penning que son fief a «une âme, une identité et un public fidèle». En guise de conclusion, il indique, sans trop se prendre au sérieux, que l’espérance de vie au Luxembourg est de 82 ans. La KuFa serait donc à la moitié du chemin, en pleine «midlife crisis». Bien qu’avec elle, on le sait, les chiffres sont toujours trompeurs.

«Kulturfabrik 40 + 1»
Du 4 octobre au 2 novembre.
https://kulturfabrik.lu

QUELQUES TEMPS FORTS

Le 4 octobre

Ouverture avec notamment un concert inédit de Mutiny on the Bounty accompagné des choristes de l’Institut Européen de Chant Choral (INECC)

Le 8 octobre

«Yes, We Squatted», docufiction de la compagnie Eddi Van Tsui, qui met en lumière la création de la KuFa à travers ses mythes fondateurs (il sera visible tout au long du mois)

Les 11, 18, 25 octobre, et le 1er novembre

En soirée, le Ratelach se transforme en karaoké, et en plusieurs langues (français, allemand, anglais, italien)

Le 12 octobre

«Eenavéierzeg» convie huit auteurs et autrices à des lectures performatives dans tous les recoins de la KuFa

Le 27 octobre

La Kermesse sonique, entre fête populaire, festival de musique et foire numérique «low-tech»

Le 2 novembre

Clôture au rythme d’une musique électronique explosive, avec notamment The Bloody Beetroots et le groupe Kokoko!

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