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[Critique cinéma] «The Bikeriders», une vie sur les chapeaux de roues


Retrouvez la critique cinéma de la semaine.

C’est pas l’homme qui prend la route, c’est la route qui prend l’homme. Et parfois, la route est la seule qui puisse donner à l’homme un sens d’appartenance au monde. Les membres des Vandals de Chicago, le «motorcycle club» raconté dans le nouveau long métrage de Jeff Nichols, se sont formés tant autour de leur passion commune que de leur existence en marge. «Trouver sa place dans le monde, c’est bien le sens de tout ça, non ?», fait remarquer l’un des «bikers» dans le film.

Le réalisateur aussi creuse son propre sillon pour imposer sa marque parmi les grands auteurs américains, avec des fils (plus ou moins) invisibles qui font tenir ensemble tout son cinéma. Et alors que son précédent film, Loving (2016), y faisait entrer plus que jamais la lumière, The Bikeriders lui répond en révélant une autre facette de cette «grande» petite histoire de l’Amérique contenue dans son œuvre.

Comme Loving, The Bikeriders est un film qui parle avant tout d’amour. Celui dont les Vandals ont toujours manqué, et qu’ils trouvent au sein du groupe; celui que d’autres préfèrent ignorer; celui qui donnera toujours espoir à Kathy (Jodie Comer), en même temps qu’il la consume. Entre sa relation avec la tête brûlée Benny (Austin Butler) et le lien quasi père-fils qui unit ce dernier et le fondateur du club, Johnny (Tom Hardy), une brute au cœur pur, c’est moins un triangle familial qu’une triple impasse sentimentale.

Là où l’amour marginalisé mais sans faille de Loving était capable de faire changer les lois et les mœurs de tout un pays, la quête d’amour et de reconnaissance des Vandals est trop fragile pour survivre aux mutations de l’époque. Inspiré par un livre du photographe Danny Lyon (joué par Mike Feist), Jeff Nichols réutilise avec finesse un procédé déjà expérimenté dans Loving, en faisant du journaliste le moteur qui lui permet de zoomer à l’intérieur de ces vies cabossées, tout en chroniquant au large les mutations d’une époque prompte à les faire voler en éclats.

The Bikeriders confirme que Jeff Nichols s’est définitivement éloigné de l’ambiguïté de ses premiers films (Shotgun Stories, 2009; Take Shelter, 2011) pour s’ériger en cinéaste néo-néoclassique. Disparus les effluves «spielbergiens» de Mud (2013, dont The Bikeriders serait le pendant urbain) et Midnight Special (2016), mais il y a comme un goût de Goodfellas (Martin Scorsese, 1990) dans le récit de cette horde sauvage. Et l’on prend même la scène d’ouverture du film pour un hommage détourné – car on peut aussi considérer que Jeff Nichols tend à Scorsese le même miroir déformant avec lequel il se regarde lui-même. Chez son aîné, la famille de mafieux est une cellule autarcique qui gangrène le monde autour par le crime et la haine, quand Jeff Nichols souligne à l’inverse le piétinement des valeurs justes mais précaires d’une microsociété par ceux qui la font avancer avec la force. Dans l’Amérique du Vietnam, la fin des utopies signifie, à l’échelle des Vandals, la mort ou le renoncement.

On recèle dans le personnage d’Austin Butler la même douleur qui était palpable chez James Dean

C’est l’amour, encore, qui sera la boussole morale du trio de personnages principaux; un enjeu émotionnel du film reste de savoir si Kathy parviendra ou non à toucher au cœur celui qu’elle aime, comme celui qui les a accueillis au sein de sa famille.

Moins pour une histoire d’ascendant que le boss aurait sur son disciple («Benny est ce que Johnny aurait toujours voulu être», explique d’ailleurs Kathy) que pour forcer ces grosses carapaces masculines, qui s’expriment en faisant rugir leurs «choppers» ou en se livrant à des bagarres qui finissent en beuveries, et tenter de toucher leur cœur.

Dans l’histoire du cinéma, The Bikeriders prend évidemment modèle sur The Wild One (László Benedek, 1953 : Johnny s’inspire de Marlon Brando pour créer son gang de motards) et Easy Rider (Dennis Hopper, 1969 : l’un des «bikers», venu trouver refuge chez les Vandals depuis la Californie, se retrouve à faire l’attraction devant un cinéma qui diffuse le film).

De la même manière, on recèle dans le personnage d’Austin Butler la même douleur qui était palpable chez James Dean. Derrière les conventions apparentes du récit (le propre du cinéma classique, donc), le cinéaste déroule des émotions fortes et authentiques; entre mythes et réalité, la nouvelle expérience de cinéma proposée par Jeff Nichols (car c’est bien de cela qu’il s’agit) est sans doute l’une des plus frappantes vues cette année.

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