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[Bande dessinée] Ulysse & Cyrano : Le goût des bonnes choses


(Photo : casterman)

À la fois récit culinaire qui ouvre l’appétit et histoire sur l’apprentissage du bonheur, Ulysse & Cyrano est surtout une fiction somptueusement écrite, qui se déguste de l’entrée au dessert.

Ulysse et Cyrano… Deux prénoms qui claquent et qui ramènent respectivement à des chefs-d’œuvre mémorables de la littérature et du théâtre. Mais ce sont également deux personnages que tout sépare et qui, dans l’absolu, n’auraient jamais dû se croiser. Leur histoire commune, comme le raconte la fiction tissée par Xavier Dorison et Antoine Cristau, n’est en effet qu’une succession de contrastes et d’oppositions. Deux mondes qui, dans une France d’après-guerre, ne se parlent pas, ou peu : les villages et la capitale, le terroir et l’industrie. Et au milieu, un rapport de classes tout aussi décousu avec, d’un côté, les nantis, l’austérité, les alliances et les existences toutes tracées. De l’autre, les gens de peu, la jouissance, l’amitié et les destins qui se construisent.

Ulysse a aussi un nom, Ducerf, ce qui fait de lui le futur héritier de la plus grande cimenterie d’Europe. Son quotidien ne lui offre aucune surprise : cours de latin, messe, essais chez le tailleur et lycée avec, au bout, la nécessité de terminer parmi les premiers au baccalauréat, réputation et place en Polytechnique obligent. Lui qui ne rêve que de dessins doit ranger ses envies au placard, surtout dans une famille pour qui «la liberté se nourrit d’argent et de pouvoir». «L’excellence ou rien» pourrait même être leur devise. Le jeune garçon donne le change avec difficulté et peine toujours à sourire quand le majordome passe le peigne dans ses cheveux.

À l’opposé, il y a donc Ulysse, barbe épaisse, ventre rond et «force de la nature», qui se balade en side-car. Un épicurien dont le mot favori est plaisir, et qui ne dit jamais non à une bonne bouteille de vin ou à un plat entre copains. Quinze ans auparavant, il était même une référence de la table et régalait les palais avec son poulet aux écrevisses, ses viandes en sauce et ses poissons au beurre. En Bourgogne, son restaurant étoilé Les Trois Lauriers ne désemplissait pas, jusqu’à ce qu’il y mette le feu, déçu de ne pas avoir reçu le prix du meilleur cuisinier de France. Jaloux aussi que ce soit son protégé, Gédéon Lecoq, et sa nouvelle cuisine qui le dépassent.

Dans le plaisir, la vérité

Mais voilà qu’un scandale éclate : le père d’Ulysse, homme froid et intransigeant, aurait commercé avec les Allemands pendant l’Occupation. Mère et fils trouvent alors refuge en 1952 dans le vignoble des Maranges en attendant que l’affaire (devenue d’État) se calme. Aux cours particuliers, l’adolescent préfère le charme de la fille de l’aubergiste, à son goût, avant de tomber sur le colosse retiré des fourneaux à la suite d’une mauvaise chute : «Tiens, ça va te réconcilier avec la vie», dit-il en lui tendant un morceau de terrine et un ballon de Mercurey premier cru. Le tandem est réuni. Ulysse va enfiler le tablier et la toque. Dans son sillage, les conventions vont vaciller et les vérités, éclater.

Sous ses airs faussement naïfs et ses accents «feel good», Ulysse & Cyrano est une fine étude de mœurs qui vise juste et n’élude aucun sujet : la famille, la filiation, le poids de l’héritage et de son rang social avec, au bout, un choix, y souscrire ou s’en éloigner. Et une question : comment s’épanouir? Xavier Dorison, que l’on ne présente plus (auteur, entre autres, de Long John Silver, du Château des animaux et d’Undertaker), dit ainsi avoir voulu «mettre en scène un parcours initiatique, émancipateur» qui, pour le coup, se passe en cuisine. D’où la présence à ses côtés d’Antoine Cristau, spécialiste de l’histoire de la gastronomie. Oui, le bonheur est dans et autour de l’assiette, et il s’apprécie sans chichi, loin de la course au Guide Michelin et de l’«esbroufe» des mets trop sophistiqués.

Car avec cet autre binôme, soutenu par les traits pleins de soleil de Stéphane Servain, on ne compte pas les calories prises : tarte au boudin, ris de veau aux morilles, grives farcies, lapin à la moutarde et cailles aux mirabelles se succèdent et s’apprécient avec un pinot noir frais qui caresse le palais (trois recettes se retrouvent même en postface). La cuisine est «un art de l’émotion», précise Antoine Cristau, conformément à la locution latine qui revient sans cesse dans l’ouvrage : in voluptate veritas (Dans le plaisir, la vérité). Et avec elle, il y a toujours de beaux moments à partager, à condition d’y mettre «de la gourmandise», selon Xavier Dorison. Du scénario aux dialogues en passant par les dessins, le menu, concocté avec soin, ne présente aucune lourdeur ni fadeur. Il est même l’un des plus équilibrés et réussis de l’année. Quatre étoiles.

Ulysse & Cyrano, de Xavier Dorison,
Antoine Cristau et Stéphane Servain.
Casterman.

L’histoire

Ulysse Ducerf, 16 ans, va passer le bac. Les mathématiques ne le passionnent guère, mais impossible de se défiler quand on est promis à un brillant avenir : l’École polytechnique, puis la reprise, un jour, des cimenteries familiales. Telle est la volonté du père d’Ulysse, mais ce dernier est rattrapé par de graves accusations : dix ans plus tôt, son entreprise aurait participé à l’effort de guerre allemand. La famille s’installe alors en Bourgogne, où Ulysse fait la connaissance d’un homme bourru et secret. Le choc est immédiat : Cyrano et la grande cuisine vont bouleverser à jamais la vie du jeune garçon…

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