Décidément, dans un univers du rap aux conventions souvent bien établies, Casey fait figure de cas à part, de trublion aux allures sauvages, d’électron libre dont chaque texte frappe comme un coup de poing à l’estomac.
Dans ce nouveau disque, elle s’annonce d’ailleurs comme une «anomalie du 93 avec une gueule caribéenne». Logique quand on regarde la trajectoire de Cathy Palenne, 45 ans, privilégiant clairement les chemins de traverse à ceux tout tracés de l’industrie du hip-hop qui mise sur le succès instantané et les podiums faciles.
C’est vrai, elle ne fait rien comme tout le monde, et ce, depuis Tragédie d’une trajectoire en 2006, sa première longue offrande. Une trajectoire, justement, qu’elle veut libre et sans entraves, un peu comme si la sclérose et les réflexes conditionnés étaient les ennemis à combattre. Elle aurait pourtant pu profiter de la réussite, justifiée, de Libérez la bête (2010), album choc aux mots sévères, contenant toute la rage que Casey pose régulièrement dans sa cruelle poésie à ras de trottoir, et son flow massacrant. Que nenni ! Elle a ainsi préféré s’acoquiner avec d’autres musiciens, et tenter l’expérience dans différents domaines, disciplines, avec toute l’honnêteté qui la caractérise : il y a eu ainsi la collaboration avec le groupe Asocial Club – pour l’excellent Toute entrée est définitive (2014). Plus remarquée, il y a également eu celle, plus datée aussi, avec Zone libre, le groupe de Serge Teyssot-Gay, ex-Noir Désir – aboutissant aux albums L’Angle mort (2009) et Les Contes du chaos (2011).
En outre, elle a fait un doublage pour la série d’animation «hardcore» Vermin, créée par Alexis Beaumont (visible sur Netflix), s’est engagée auprès du prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel, et est actuellement en tournée au théâtre avec Virginie Despentes et Béatrice Dalle pour Viril, un spectacle qui met en scène des textes féministes et antiracistes.
Son retour en lumière, elle le fait aujourd’hui sous le nom d’Ausgang (avec le «A» d’anarchie), nouveau collectif qui compte Marc Sens à la guitare (déjà présent dans Zone libre), Manusound aux machines et Sonny Troupé à la batterie. Comme le témoigne la chanson phare de ce disque, Chuck Berry, ce projet annonce une nouvelle affinité avec la six-cordes, en mode évidemment énervé. «Je l’ai dans la chair, je l’ai dans les veines / Qu’est-ce que tu crois cette histoire est la mienne», lâche-t-elle en faisant référence au rock, qui, rappelle-t-elle, trouve ses racines dans la culture noire. Posée, donc, sur de lourdes guitares et des rythmiques nerveuses, Casey, comme à son habitude, ne mâche pas ses mots, frappant à tout-va. Abrasive, elle l’est toujours, déroulant, dans ses textes, violences sociales, économiques ou policières.
Bien sûr, si elle n’hésite pas à égratigner les petites frappes des quartiers (comme elle l’a déjà fait sur ses précédents disques), c’est bien vers les élites, celles qui abusent de leur pouvoir, que sa rage, intacte, se tourne, prêtant au passage sa voix à celles et ceux qui vivent en «marge» (Ma complice) ou sont sur «le banc de touche» (Élite). Écouter Casey, c’est certes être emporté par une diction tendue, développant des manifestes indociles – «ma bouche a tous les jours des cartouches à cracher», chante-t-elle, mais c’est aussi plonger dans une vision clairvoyante d’un monde complexe, un peu comme un cours d’instruction civique dans une époque qui cultive une indifférence au passé.
Cette puissance et cette sincérité qui lui siéent si bien, Casey les enrobe donc ici d’une énergie électrique, soutenant sa verve à fleur de peau. On replonge ainsi, avec Ausgang, dans les heures glorieuses, fin 80-début 90, de la fusion, brassant, comme son nom l’indique, deux univers que tout, en apparence, oppose. On se souvient alors de Run–DMC et Aerosmith (Walk This Way), et d’autres audaces du genre (comme la bande originale, géniale, du navet Judgment Night). Casey, elle, confirme l’idée : «Je fais du rap, je fais du rock / Où je vais je suis moi-même». L’auditeur, lui, la suit les yeux fermés.
Grégory Cimatti