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Prise illégale d’intérêts : l’ex-juge des tutelles à la barre


Les faits reprochés au quadragénaire remontent aux années 2004 à 2015. (Photo : Fabienne Armborst)

Le quadragénaire s’est-il rendu coupable de « prise illégale d’intérêts » en nommant son ami avocat dans le cadre de 221 procédures entre 2004 et 2015? C’est la question qui occupe depuis mercredi matin la 16e chambre correctionnelle.

« L’amitié a-t-elle eu une influence sur la manière dont ils ont travaillé?» «Avez-vous reçu des réclamations quant au travail de l’avocat?» «Avez-vous dû révoquer des décisions?» Les questions de la défense à la juge des tutelles qui a succédé au quadragénaire après sa suspension fin 2015 ne variaient guère mercredi matin. «On parle beaucoup des compétences. Ce n’est toutefois pas l’objet de cette affaire, a fini par intervenir le procureur d’État, Jean-Paul Frising. La question qui nous occupe aujourd’hui est de savoir si un juge a le droit de traiter une affaire dans laquelle des personnes interviennent avec qui il entretient des liens privés ou familiers.»

«Un juge doit faire preuve d’une certaine objectivité vers l’extérieur. Or s’il traite une affaire avec des personnes qu’il connaît personnellement, le risque est grand que sa capacité d’appréciation soit restreinte.» De l’avis du parquet, le juge aurait donc dû se déporter. «Mais cela n’a pas eu lieu. Voilà donc l’objet du procès.»

Le parquet reproche en effet au prévenu, âgé aujourd’hui de 49 ans, d’avoir entre le 1er janvier 2004 et le 20 octobre 2015, en sa qualité de juge des tutelles de Luxembourg, fait bénéficier son ami avocat de décisions de nomination dans 221 procédures, lui procurant ainsi des moyens financiers. Plus que le nombre de dossiers, ce sont les relations amicales privées étroites entre le juge de tutelles et l’avocat qui dérangent. Car elles auraient produit un conflit d’intérêts.

«Le juge n’est jamais venu à l’étude»

Qu’ils étaient de bons amis et faisaient du sport ensemble, le prévenu ne le conteste pas. «On se connaît depuis les années 90. Via le barreau, on a fait connaissance. Par la pratique de l’alpinisme, nos liens d’amitié se sont resserrés.» Ce n’est pas pour autant qu’il aurait privilégié son ami dans le domaine professionnel. Comme pour les autres avocats, il ne lui aurait passé au début que deux dossiers dans la phase test.

L’ex-magistrat ne regrette pas d’avoir nommé son ami qui faisait un bon travail. «Si devais le faire une nouvelle fois, je le referais.» Soulevant qu’il n’avait à sa disposition qu’une dizaine d’avocats – le tarif payé dans cette matière n’attirerait pas plus de spécialistes –, il n’aurait pu renoncer à aucun des avocats. Le fait qu’il connaissait certains de ces avocats ne lui posait pas de problème : «Dans les affaires de tutelle et de curatelle, les avocats ne plaident pas. Je n’avais pas à trancher s’ils avaient tort ou raison. C’étaient des collaborateurs.»

«Je ne vois aucun élément dans la procédure où on pourrait dire que quelque chose n’a pas été normal», s’est, par ailleurs, défendu le quadragénaire. Tous les échanges se seraient faits par écrit. Des déclarations confirmées par une collaboratrice de l’avocat. Elle déclarera aussi : «Le juge n’est jamais venu à l’étude.» Sur trois de ses anciennes greffières, une seule se souvient d’avoir entendu une remarque négative quant à la relation amicale entre le juge et l’avocat par rapport à son travail.

Pas de difficultés financières

À la fin de son audition, l’ex-magistrat s’est dit choqué de la manière dont l’enquête avait été menée. Il conteste avoir eu le moindre problème financier, comme l’enquête avait toutefois pu le faire entrevoir. Certes, son ami aurait mis à sa disposition 40 000 euros en 2013. Mais cela aurait été juste une question de temps pour accélérer l’arrivée de l’argent sur un compte dans le cadre d’un acte notarié. Il aurait remboursé son ami sur-le-champ.

L’avocat de 57 ans, poursuivi notamment pour recel, conteste également les faits qu’on lui reproche. «Cela fait 1 069 jours que je vis sous le poids de ces poursuites… Mais j’ai foi en la justice.» C’étaient ses mots à l’ouverture du procès hier matin. Suite des débats ce jeudi après-midi.

Mis à la retraite en 2017 à cause d’un autre manquement

Ce n’est pas la première fois que l’ex-juge des tutelles comparaît en justice pour «prise illégale d’intérêts». En juillet 2017, le quadragénaire a été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir ordonné en mars 2013 la mainlevée de la curatelle d’une femme alors qu’il entretenait une relation intime avec elle. C’est à la suite de ces faits que le quadragénaire, suspendu de ses fonctions à l’automne 2015, avait été mis à la retraite en janvier 2017 à l’issue d’une procédure disciplinaire. Cette décision prononcée par la Cour de justice supérieure concerne uniquement son «comportement inconvenant à l’égard d’une personne qui nécessitait une protection judiciaire». Les faits pour lesquels il est jugé depuis mercredi ne font pas l’objet de cette sanction disciplinaire. Un fait que les avocats des prévenus n’ont pas manqué de soulever dès l’ouverture du procès. La réponse du procureur d’État : «Les mesures disciplinaires se distinguent clairement des sanctions pénales.»

Fabienne Armborst