Le télétravail, ou travail à domicile, s’est généralisé dans le pays. Il était devenu un vaste sujet de débat et de crispation au Luxembourg avant que le Covid-19 ne vienne bousculer les certitudes,
En début de semaine, Éric, qui travaille au Kirchberg s’apprêtait à monter dans son bus. Jusque-là, rien de bien étonnant pour ce frontalier employé dans la finance. Sauf que sous son bras se trouve un large écran d’ordinateur. Dans son sac à dos, une tour d’ordinateur dépasse. «Faute d’ordinateur portable pour tout le monde, c’était la seule solution pour pouvoir télétravailler depuis mon domicile. Heureusement, je ne rentre pas en train, mais je fais du covoiturage avec un amis que je dois rejoindre sur le Glacis», explique rapidement le jeune homme avant de sauter dans un transport en commun.
Cette scène insolite s’est généralisée au fur et à mesure de la propagation du Covid-19. Pour Jef, c’est l’écran grand format qu’il a glissé dans son coffre dès dimanche soir : «Je suis architecte. J’ai la chance d’avoir un ordinateur assez puissant pour supporter les programmes informatiques que l’on utilise, mais je n’avais qu’un tout petit écran à domicile.» Son employeur a de l’humour : «J’ai demandé à mon patron si je pouvais prendre mes deux écrans du travail. Il m’a dit « bien sûr, prends même la photocopieuse si tu as besoin ».» Pourtant, l’idée n’est pas si bête. Thomas, jeune avocat dans un grand cabinet de la capitale, travaille lui aussi depuis la maison : «C’est arrivé au fur et à mesure. Au début, la consigne était d’être quatre par bureau, puis deux, puis tout le monde à la maison. Finalement, que je sois au bureau ou à la maison en train de travailler, cela ne change pas grand-chose pour moi. Nous avons du travail, même s’il est vrai que le volume commence à diminuer, tout comme les activités de nos clients. Par contre, c’est vrai qu’à domicile, pour scanner ou faire des photocopies, c’est beaucoup plus difficile, surtout quand il n’y a pas d’imprimante à la maison.»
Depuis la semaine dernière déjà
Pour Inès, graphiste dans une boîte de communication à Luxembourg, le télétravail est mis en place depuis la fin de la semaine dernière. «J’ai la chance d’avoir des patrons qui comprennent la situation et qui ont pris des mesures très rapidement. Après, on a un travail qui ne nécessite pas de matériel particulier, à part un ordinateur. Le plus dur, c’est de trouver son espace de travail à la maison. De se dire « je suis à la maison pour travailler et je dois éviter les distractions ».» Idem pour Martha qui s’est aménagé un vrai coin bureau : «Comme au travail, j’ai installé un bureau dans la chambre d’amis. Comme cela, je suis vraiment dans ma bulle, à la maison, mais dans ma bulle de travail. Et quand je sors de cette pièce, en fin de journée, je vais faire un petit tour dehors, seule, pour faire une coupure entre travail et maison.»
Pour Sophie, une employé de banque, le télétravail est également de rigueur depuis lundi. «Nous avons reçu un mail vendredi soir pour nous prévenir. Toute l’équipe a été mise en télétravail. J’ai reçu mes codes d’accès pour me connecter depuis mon domicile au serveur de la société. Donc je travaille exactement comme d’habitude, mais depuis chez moi. La seule différence, c’est que je pointe par e-mail quand je commence et quand je termine, ou encore quand je prends mon heure de pause, car à la banque nous avons un système de badge que l’on n’a évidemment pas à domicile.»
Enfant et télétravail
Si dans la grande majorité des cas le télétravail semble être une bonne nouvelle, c’est parfois le contraire pour d’autres. L’exemple de Marie, une jeune habitante de la capitale travaillant dans l’audit, en atteste : «Hier (mardi), on m’a annoncé que je devais télétravailler. Bien sûr, je trouve ça normal, car on limite les risques, mais comme je vais travailler à pied, ça me faisait ma balade de la journée. En télétravaillant, je vais faire une croix sur ma balade. Et puis, je trouve que c’est plus confortable de travailler au bureau, avec un double écran et un chaise de bureau, que chez soi.»
Pour Martin, le problème, ce sont ses deux enfants. «J’ai une pièce qui fait bureau chez moi, mais je l’utilise très peu. Depuis le début de la semaine, je suis en télétravail et donc j’utilise ce bureau. Mais mes deux enfants, assez jeunes, ne comprennent pas trop que c’est un espace de travail et qu’il faut me laisser travailler. Il y a eu quelques intrusions lundi, mais maintenant, je pense qu’ils ont compris que leur papa était au travail tout en étant à la maison.»
Dans la construction, les choses s’organisent également avec l’annonce par le Premier ministre de la clôture des chantiers pour la fin de la semaine. Arnaud, project manager dans une société active dans le secteur de la construction, en témoigne : «Depuis mardi (hier), je suis en télétravail. C’est vrai que ce n’est pas l’idéal, surtout que je garde mon fils en même temps, car ma femme alterne entre le télétravail et son bureau. Donc, avec le petit, les choses avancent plus doucement qu’au bureau. Par contre, avec la fermeture des chantiers, c’est vrai que nous avons reçu beaucoup de demandes et les entreprises dans la construction commencent à prendre des dispositions pour sécuriser et mettre à l’arrêt les chantiers. D’un côté, cela va me permettre d’avancer sur les tâches administratives et de comptabilité, mais si cela continue, cela va poser problème sur la durée.»
Pas pour tous les métiers
Face à la crise, les entreprises ont dû réagir rapidement. Certaines, comme les cabinets d’audit, ont eu l’avantage de compter sur leur expérience. «En temps normal, on utilise très souvent le télétravail, donc cela n’a pas nécessité de grands changements dans l’organisation du travail», avoue un employé de chez PwC.
Malheureusement, il faut préciser que le télétravail n’est pas possible pour tous les métiers. La colocataire d’Inès, par exemple, travaille dans un supermarché et ne peut pas télétravailler. En 2013, une étude du Liser affirmait que seuls 48 % des salariés du privé étaient affectés à un poste permettant de télétravailler. Cette même étude montrait également les craintes des entreprises envers le télétravail, notamment «la crainte de perdre le contrôle sur le temps de travail, la nécessité de repenser le mode de management ou de développer la sécurité des systèmes informatiques».
«On nous parle de télétravail, mais c’est vrai qu’il y a un risque d’intrusion dans les systèmes, explique un informaticien. Mais un bon informaticien sait mettre en place des configurations spécifiques pour éviter cela. Après, cela demande de la préparation. On ne configure pas 400 ordinateurs en une heure. Quand les gens se demandent ce que font les informaticiens toute l’année, eh bien, normalement, il travaille à rendre opérationnelle l’entreprise d’un point de vue informatique. Et comme la cybersécurité, les aspects concernant le télétravail sont souvent ignorés par les entreprises. Résultat, aujourd’hui, certaines sont dans la panade totale et bricolent des accès à la va-vite ou sont même parfois dans l’incapacité de fournir un ordinateur à un salarié pour télétravailler.»
Jéremy Zabatta