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John Marshall : «Le Brexit se fera, avec ou sans accord»


"J'estime qu'il existe trop de négativisme lorsqu'on évoque le Brexit, mais je reste confiant qu'un avenir prospère nous attend", assure John Marshall. (photo Alain Rischard)

Deal ou no deal ? L’enjeu majeur du Brexit n’est toujours pas tranché. En amont de la visite ce lundi du Premier ministre britannique à Luxembourg, l’ambassadeur du Royaume-Uni fait le point sur les intentions de Londres.

Arrivé au Grand-Duché deux mois avant le vote en faveur du Brexit, John Marshall continue de militer pour une sortie du Royaume-Uni de l’UE avec un accord de retrait. La date du 31 octobre est qualifiée d’incontournable. En dépit du vote pris au Parlement, Londres se dit prêt à assumer un Brexit dur.

Les relations entre le Royaume-Uni et le Luxembourg remontent à 1879, avec l’arrivée du tout premier ambassadeur à être accrédité au Grand-Duché. Aujourd’hui, les liens entre les deux pays sont-ils toujours aussi étroits ?

Notre relation reste au beau fixe. Elle est aussi très bonne à l’échelle gouvernementale. Mais il est aussi très important que les liens aillent au-delà. Ce qui renforce vraiment les liens entre nos deux pays, ce sont les échanges économiques, avec à la clé un rapprochement entre les populations. Les Luxembourgeois aiment se rendre à Londres et de plus en plus de Britanniques choisissent aussi de visiter le Grand-Duché. Et il ne faut pas oublier les 6 000 à 7 000 citoyens qui forment la communauté britannique du Luxembourg.

Une des réponses majeures à la Seconde Guerre mondiale a été la construction européenne. À la veille du Brexit, quelles sont, en dehors de la plus longue période de paix jamais connue sur le Vieux Continent, les principaux mérites de l’UE ?

Nous aurons été membre de l’UE pendant 46 ans. On a été largement impliqués dans les principaux développements de l’Union. Si je dois mettre en avant un acquis majeur, c’est la mise en place du marché unique européen. Un autre acquis est l’élargissement de l’UE vers les pays de l’Est, ayant permis d’y instaurer une certaine stabilité, de renforcer la démocratie et de développer la croissance économique.

Le Royaume-Uni est accusé depuis le début des négociations sur le Brexit de faire du « cherry picking » en voulant rester dans le marché unique sans continuer à respecter les autres libertés fondamentales de l’UE. Quelle réponse apportez-vous à ces reproches ?

Avec le récent changement de gouvernement, l’approche a singulièrement changé. Nous disons plus clairement que par le passé que le Royaume-Uni ne compte plus rester intégré à l’union douanière et au marché unique. Nous envisageons la future relation économique sous forme d’un accord de libre-échange, doté d’objectifs ambitieux avec l’option de garder une autonomie en termes de définition de régulations et de taxes douanières.

Vous êtes arrivé an avril 2016 au Luxembourg. Le Grand-Duché est connu pour être une sorte de mini-Europe en raison de son caractère multiculturel et de son ouverture vers l’extérieur. Au vu de votre expérience acquise ici, ne regrettez-vous pas de voir votre pays quitter l’Union européenne ?

Je suis très optimiste quant à l’avenir. La future relation qu’aura le Royaume-Uni avec l’UE, et donc le Luxembourg, restera très bonne. Il a déjà été répété à maintes reprises que nous allons quitter l’Union européenne mais pas l’Europe. Nous avons partagé des valeurs et cela va nous permettre de garder cette proximité. On ne sera plus dans l’Union, mais toujours des alliés très proches de l’Europe. Pour préparer au mieux cet avenir commun, il serait bien de sortir avec un accord. J’estime qu’il existe trop de négativisme lorsqu’on évoque le Brexit, mais je reste confiant qu’un avenir prospère nous attend.

Pourtant, le Parlement britannique vient d’être suspendu alors que les débats sur le Brexit avec ou sans accord s’éternisent. Avez-vous un commentaire à faire sur les récentes évolutions à Londres ?

La suspension suscite pas mal de débats. Ce qui m’importe, c’est de placer le focus sur les négociations pour obtenir un nouvel accord avec l’UE. Nous devons trouver une issue avant le sommet européen des 17 et 18 octobre prochains. Le Parlement va reprendre ses travaux le 14 octobre et aura suffisamment de temps pour débattre du Brexit. Il faudra toutefois garder à l’œil le jugement final de la Cour suprême sur la légalité de la suspension, qui doit être rendu demain (mardi).

Vous pouvez rassurer aujourd’hui les Luxembourgeois vivant et étudiant au Royaume-Uni et les Britanniques résidant au Grand-Duché quant à leur droit de séjour et leur statut en cas de Brexit dur ?

Pour ce qui est des citoyens européens vivant déjà au Royaume-Uni, ils pourront toujours résider, travailler et étudier ou avoir accès au système de santé. La seule chose qu’ils auront à faire, c’est de renouveler leur droit de séjour, qui va être différent de celui qui sera accordé aux citoyens de l’UE qui souhaitent s’établir au Royaume-Uni après le Brexit. Les personnes concernées doivent prouver leur identité, se faire certifier leur résidence au Royaume-Uni et présenter un extrait de leur casier judiciaire. Cette procédure est lancée depuis plusieurs mois et ce sont déjà 1,14 million de citoyens européens qui ont obtenu ce statut spécial. Les demandes peuvent être introduites jusqu’à fin 2020.

Et donc pour la communauté britannique vivant au Luxembourg ?

Je peux également la rassurer. Le gouvernement luxembourgeois a pris les mesures nécessaires. Chacun pourra continuer à vivre et travailler au Grand-Duché. Nous saluons particulièrement le fait que le ministère des Affaires étrangères ait pris le soin de contacter par écrit l’ensemble des citoyens britanniques résidant au Luxembourg. Seuls un ou deux autres États membres de l’UE ont fait cette même démarche. Il s’agit d’une initiative très importante pour que chacun soit au courant des démarches à suivre. À terme, nos citoyens vont être considérés comme ressortissants d’un pays tiers. Mais le gouvernement luxembourgeois a annoncé la mise en place de procédures simplifiées.

Qu’en est-il pour les voyages vers le Royaume-Uni? Pouvez-vous confirmer qu’il n’y aura pas d’obligation de visas pour entrer sur le sol britannique ?

Nous comptons introduire en janvier 2021 de nouvelles règles pour l’immigration. Je suis sûr que les courts séjours ne poseront pas de problème. En attendant, tout va continuer à fonctionner comme c’est le cas aujourd’hui. La carte d’identité sera toujours suffisante pour voyager au Royaume-Uni. À l’avenir, le passeport deviendra toutefois obligatoire. Mais cela ne devrait pas trop impacter les Luxembourgeois, qui, pour la plupart, sont en possession d’un passeport. Par contre, pour ceux qui, après notre sortie, souhaitent rester installés au-delà de 2020 au Royaume-Uni, ils devront postuler pour obtenir le statut « European Temporary Leave to Remain (ETLR) ».

Pour l’instant, le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, exclut tout nouvel accord ou même une prolongation de la date de sortie du Royaume-Uni. Comprenez-vous l’impatience qui gagne les pays de l’UE en raison de l’incertitude qui continue à entourer le Brexit ?

Nous ne voulons pas de nouveau report de la date de sortie. On a la ferme intention de quitter l’UE fin octobre. Je peux comprendre l’impatience qui gagne les pays de l’UE, dont le Luxembourg. Nous partageons cette frustration et il s’agit d’une raison de plus de rendre effective la sortie au 31 octobre. Il est dans l’intérêt des deux camps que la date de sortie soit respectée. Mon vœu sincère est que nous sortions avec un accord afin de pouvoir consacrer notre temps et notre énergie à un agenda plus constructif avec l’entame des négociations sur nos futures relations. Trop de temps a été consacré à négocier le Brexit. Nous voulons désormais négocier toutes les dimensions du futur, incluant l’économie, la sécurité, les partenariats à l’échelle de la science et de la recherche, l’éducation ou les arrangements pour continuer à coopérer en matière de politique étrangère.

Ces négociations devront être menées avec la nouvelle Commission européenne. Quelle sera votre attitude par rapport au nouvel exécutif européen ?

Le Brexit sera aussi un formidable cadeau pour la nouvelle Commission. Elle pourra se consacrer à l’avenir et dégager du temps pour travailler sur tous les autres objectifs que s’est fixés la Commission. Je pense à la lutte contre le changement climatique, la création d’emplois et le support à apporter à la croissance. Il est donc dans notre intérêt commun que la sortie se concrétise le plus rapidement possible.

L’option d’élections anticipées, qui est écartée pour l’instant, ne pourrait-elle pas mener à un nouveau report de la date de sortie ?

Il n’est pas opportun, en politique, de spéculer sur le moment de la tenue de nouvelles élections. Le Premier ministre a souhaité un scrutin anticipé. Le Parlement, qui est aujourd’hui suspendu, a rejeté à deux reprises cette option. Rien de neuf ne va donc se passer à ce niveau jusqu’à la reprise des travaux parlementaires le 14 octobre.

Pouvez-vous promettre que le Royaume-Uni va quitter l’UE au 31 octobre ?

Je ne peux pas le promettre, mais je peux affirmer avec la plus grande conviction que notre intention est de quitter l’UE au 31 octobre, de préférence avec un accord. Si ce n’est pas le cas, le Brexit se fera sans deal.

En dehors du Brexit, la lutte contre le changement climatique occupe également fortement la communauté internationale. La pression exercée par la mouvance « Youth for Climate » pourrait-elle être le levier qui mène enfin à des mesures concrètes et fortes pour anéantir le réchauffement planétaire ?

La mobilisation de la jeune génération est longuement à saluer. Le changement climatique est depuis de longues années pris très au sérieux par le Royaume-Uni. Nous allons d’ailleurs accueillir la COP26 en 2020. En début de semaine dernière, il a été décidé de confier la présidence au Royaume-Uni en partenariat avec l’Italie. Même si on doit encore attendre la décision formelle, qui sera prise en décembre lors de la COP25 au Chili, nous pouvons déjà entamer les travaux de préparation afin de parvenir à prendre des décisions ambitieuses en termes de lutte contre le changement climatique. Le Royaume-Uni va légiférer pour que le statut de pays zéro carbone soit atteint en 2050. Nous comptons collaborer avec des pays qui partagent ces mêmes ambitions. Le Luxembourg en fait partie. Pour être un succès, la COP26 doit s’accorder sur des décisions ambitieuses.

Entretien avec David Marques

Repères

État civil. John Marshall (54 ans) est père de trois enfants. Il est divorcé. Après trois années passées au Grand-Duché, John Marshall maîtrise le luxembourgeois et parle également français.

Missions (I). Avant de décrocher son premier poste d’ambassadeur, il travailla notamment à Tokyo (Japon) et Kuala Lumpur (Malaisie). John Marshall occupa la fonction de chef de mission entre 2007 et 2011 à l’ambassade britannique à Addis-Abeba (Éthiopie).

Missions (II). John Marshall reste en Afrique pour sa première mission comme ambassadeur. De 2011 à 2015, il est le représentant officiel du Royaume-Uni au Sénégal, avec également la charge de s’occuper des relations avec le Cap-Vert et la Guinée-Bissau.

Luxembourg. En date du 14 avril 2016, John Marshall a présenté sa lettre de créance au Grand-Duc Henri. Il succède à Alice Walpole comme ambassadeur du Royaume-Uni au Luxembourg. Il restera en poste jusqu’en 2021.

Diplomatie. Diplomate de carrière, John Marshall a intégré en 1988 le ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth.