Accueil | Economie | Fiscalité du numérique : le Luxembourg veut épargner les GAFA

Fiscalité du numérique : le Luxembourg veut épargner les GAFA


Xavier Bettel à Paris le mardi 20 mars, en marge de la visite d'Etat du Grand-Duc en France. (Photo: AFP)

Xavier Bettel ne veut pas voir l’Union européenne avancer seule sur la taxation des géants du numérique, estimant que la solution doit être globale. Le Luxembourg répète ainsi sa position alors que la Commission européenne présente mercredi un plan pour mieux taxer l’économie du numérique.

«Il est inacceptable que de grandes entreprises réalisant des bénéfices considérables ne paient pas d’impôt alors qu’un travailleur est, lui, taxé à hauteur de 40 % ou 50 %. Tolérer cela, c’est pousser les gens vers les extrêmes», a reconnu Xavier Bettel dans un entretien qu’il a accordé au quotidien Le Monde, lundi, alors que débutait la visite d’Etat du Grand-Duc en France.

Une fois cette évidence édictée, le Premier ministre luxembourgeois a réitéré la position du Grand-Duché, hostile à voir l’Union européenne jouer un rôle moteur sur le dossier de la taxation des géants du numérique, comme Google ou Facebook. Avançant l’argument du level playing field, le Luxembourg exige une solution internationale coordonnée par l’OCDE. « Nous demandons d’attendre le rapport promis par l’OCDE pour atteindre une convergence et faire en sorte que l’Europe ne soit pas moins attractive que d’autres », a affirmé Xavier Bettel dans Le Monde. « Le Luxembourg ne freine pas la taxe sur les géants du numérique. Mais il ne faut pas que ça nuise à la compétitivité de l’UE », a renchéri le Premier ministre sur le plateau de France 3, dont il était l’invité lundi soir.

La position luxembourgeoise constitue un point de divergence entre Xavier Bettel et Emmanuel Macron qui se plaisent pourtant à afficher leur communauté de vues sur les grands dossiers européens. La taxation des GAFA figurait en bonne place dans le programme électoral du président français et son ministre des Finances, Bruno Le Maire, se montre très pressant sur ce dossier, quand bien même le discours n’est pas toujours suivi d’effets, ainsi que l’a montré le traitement accordé l’an dernier par Paris à Google. Selon le principe qu’un bon accord (transactionnel) vaut mieux qu’un mauvais procès, Bercy avait renoncé en août à demander 1,1 milliards d’euros au champion des moteurs de recherche qui transférait artificiellement ses bénéfices de l’Hexagone vers l’Irlande.

Amazon et Netflix épargnés

Les déclarations de Xavier Bettel en France interviennent alors que la Commission européenne présente mercredi son plan pour mieux taxer les géants du numérique, communément désignés sous l’appellation GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Dans un premier temps, l’exécutif européen préconise de taxer à 3% les revenus (et non les profits, comme le veut l’usage) générés par l’exploitation d’activités numériques. Cet impôt ne s’appliquera qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros et dont les profits en Europe dépassent 50 millions d’euros, indiquent des sources européennes, insistant sur le fait que cette mesure concernera les entreprises de toutes nationalités et pas seulement américaine.

Ce nouveau mode de taxation devrait rapporter 5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires aux Etats membres chaque année et s’appliquer à quelque 120 à 150 sociétés. Le monde des start-up européennes, jusqu’à présent pénalisé par les avantages fiscaux accordés par certains pays aux multinationales du numérique, échapperont à ce mode de taxation. Les entreprises dont les profits reposent sur les abonnements, comme Netflix, seront également épargnées, tout comme celles qui gagnent de l’argent grâce au commerce électronique, type Amazon.

Cette réforme, si elle va au bout, permettra aux pays de l’UE de taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise n’y est pas présente physiquement. Il s’agit d’établir un standard européen définissant la présence numérique des sociétés, pour mieux les imposer, à l’aide de trois critères: revenus, nombre d’utilisateurs et contrats – publicitaires par exemple – signés avec une autre entreprise.

Guerre commerciale avec les Etats-Unis

Le sujet sera au menu jeudi soir du sommet européen des 28 chefs d’Etats et de gouvernement de l’UE à Bruxelles. Mais il risque d’attiser les tensions alors qu’Européens et Américains sont au bord d’une guerre commerciale et que Washington s’oppose vigoureusement à une nouvelle taxation des GAFA. « Je me demande, par ailleurs, alors qu’une guerre de l’acier menace, s’il est bon de lancer un mécanisme qui aboutirait à taxer, pour l’essentiel, des sociétés américaines », a dit Xavier Bettel au Monde.

« Tant que les pays du G20 ne parviendront pas à un accord, l’Union européenne doit avancer et faire passer Google et Cie à la caisse », a pour sa part tranché mercredi le député européen écologiste Sven Giegold. « Un droit fiscal commun à toute l’Union européenne constituerait la voie royale », estime l’élu allemand, très présent sur les questions de fiscalité. « La solution proposée par la Commission européenne est une bonne alternative tant que les paradis fiscaux européens bloqueront » le dossier, ajoute Sven Giegold, dans une référence claire au Luxembourg et à l’Irlande, deux pays où les géants du numérique bénéficient d’une fiscalité peu contraignante.

La Commission européenne et le gouvernement français reconnaissent que le plan proposé mercredi est une première étape ne réglant pas le problème à long terme. Une solution « faute de mieux », au risque de « pousser les gens vers les extrêmes », comme le constatait Xavier Bettel lundi.

Fabien Grasser