Son frère Andy et son père Johnny commentent pour Le Quotidien le départ en retraite de Frank Schleck, ce samedi à l’issue du Tour de Lombardie.
Inutile de les chercher autour de l’attroupement qui ne manquera pas de s’opérer autour de lui, ce samedi en fin d’après-midi du côté de Bergame, à l’arrivée du Tour de Lombardie. Si Martine, l’épouse de Frank, et leurs deux filles seront aux premières loges, pour des raisons diverses, Johnny, son père qui a suivi tant de ses courses, et son frère aîné Andy, retraité depuis la fin 2014, ne se déplaceront pas ce samedi en Italie pour voir Frank Schleck pendre son vélo au clou.
Le vainqueur du Tour 2010 est actuellement en Suède, où il honore des rendez-vous avec des équipementiers et des marques de cycles pour son magasin. « Je ne regarderai pas la course, précise Andy. Je serai occupé et puis, franchement, cela me rendrait tellement triste et nostalgique que je ne le sens pas. Je préfère ne rien voir. J’irai juste regarder les résultats. »
Johnny, pour sa part, sera bien devant son poste de télévision. Mais pas question, donc, d’effectuer cet ultime déplacement. Lui, qui depuis une trentaine d’années, bien après sa carrière, a arpenté tellement de courses, des jeunes jusqu’aux pros, est devenu, à l’en croire, superstitieux. « Je suis allé sur Paris-Nice en début de saison , s’emporte-t-il, il est tombé. Je suis allé sur la Flèche Wallonne, il est tombé. Tout cela m’énerve tellement. Je suis de la vieille génération et le cyclisme est devenu tellement dangereux, presque un sport extrême, que je ne supporte plus de voir toutes ces chutes. »
On le comprend, Johnny, en bon père de famille, vit cette fin de carrière de Frank, deux ans après celle d’Andy, un peu comme « un soulagement ». Mais il n’y a pas besoin de le gratter longtemps pour faire ressurgir quelques regrets chez cet ancien coureur professionnel des années 60-70. « Je ne peux pas dire que mes deux fils n’ont pas réussi, beaucoup aimeraient avoir leur palmarès mais, des fois, on se dit aussi qu’il y avait moyen de faire mieux », tempère l’inimitable Johnny, pour qui l’étape de l’Alpe d’Huez en 2006 et le podium final à Paris de ses deux fils en 2011 sont les deux sommets. « Mais ces succès, je n’en ai compris l’envergure qu’il y a peu. J’ai mis du temps à réaliser. Car lorsqu’on est dans le feu de l’action, on perd la valeur des choses, tout devient banal, habituel », souligne encore Johnny.
« C’est le bon moment »
On ne va pas refaire ici l’inventaire des faits d’armes des deux célèbres frangins de Mondorf. Ce n’est de plus pas la spécialité d’Andy, lequel confesse pourtant avoir eu un mal de chien à tourner la page. « Je suis bien placé pour en parler, formalise Andy. J’ai mis quelques mois à digérer mon départ du cyclisme professionnel. Ce n’est pas toujours agréable de vivre cette transition. Quand on s’arrête, il nous manque quelque chose. On ne s’en rend pas compte lorsqu’on est pro, on passe notre vie de stages en courses et le temps défile. On n’est jamais préparé à la retraite sportive, à la vie sans le vélo. Et d’un coup, le cyclisme devient secondaire. Mais je ne suis pas inquiet pour Frank, car il a eu le temps de mûrir sa décision. »
À les écouter, ni Johnny ni Andy n’ont été consultés pour la décision de Frank. « Il est assez grand pour savoir que c’était le bon moment, juge encore Andy. Moi, je suis d’avis qu’il aurait pu courir deux ans sans problème. Physiquement, on voit qu’il est encore costaud. Il est resté sérieux jusqu’au bout. Mais je le comprends. Après sa décision, j’ai discuté avec lui et j’ai compris qu’il avait senti des signes de lassitude. Il a compris de lui-même que c’était le bon moment. »
Avec Jungels, « la relève est là »
Le bon moment aussi pour que la relève s’exprime pleinement, ce qui est déjà une réalité. « Prenez Bob Jungels, observe Johnny Schleck, vous avez vu son numéro dans la dernière étape de l’Eneco Tour ? Mes deux fils n’étaient pas de mauvais rouleurs, mais ils n’auraient jamais pu faire ça. Quel coureur ce Jungels ! Non, la relève est là. Le cyclisme luxembourgeois ne va pas vivre un trou comme cela a pu se produire souvent, à des époques différentes.»
Aussi bien Johnny, dans son salon, qu’Andy, dans son magasin, n’auront plus cette crainte de voir Frank emporté dans l’une ou l’autre de ses innombrables chutes qui lui ont également gâté un pan de sa carrière. « Le cyclisme professionnel moderne n’est pas facile à vivre. C’est impossible de se soigner quand tu tombes malade en course et il y a ces risques de plus en plus grands sur la route. Je pense que les risques sont même plus élevés que dans tous les autres sports et, pour cela, je ne suis pas mécontent de le voir s’arrêter », souffle ainsi Andy.
Sitôt le Tour de Lombardie plié, les deux frangins auront bien plus de temps pour échanger. Tout simplement se retrouver. « On s’est promis de retrouver notre complicité qui était la nôtre lorsqu’on courait ensemble. Il ne sera plus question de vélo, mais de pêche et de chasse. Et on rigolera.. .» Johnny et Steve, le grand frère (qui ne passa jamais professionnel, mais qui préside le club de supporters), ne devraient pas être loin…
Denis Bastien